Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien, et pointilleras-tu sur les conditions ? Dieu t’a fait sans ta permission : quoi ! si ton fils devient désobéissant, et si, réprimandé par toi, il te répond : Pourquoi m’as-tu engendré ? je ne te le demandais pas ? — admettrais-tu, en mépris de toi, cette orgueilleuse excuse ? Cependant ton élection ne l’aurait pas engendré, mais la nécessité de la nature. Dieu t’a fait de son propre choix, et de son propre choix pour le servir : ta récompense était sa grâce ; ton châtiment est donc justement de sa volonté. Qu’il en soit ainsi ; car je me soumets ; son arrêt est équitable : poussière je suis, et je retournerai en poussière.

« Ô heure bienvenue, en quelque temps qu’elle vienne ! Pourquoi la main du Tout-Puissant tarde-t-elle à exécuter ce que son décret fixa pour ce jour ? Pourquoi faut-il que je survive ? Pourquoi la mort se rit-elle de moi, et pourquoi suis-je prolongé pour un tourment immortel ? Avec quel plaisir je subirais la mortalité, ma sentence, et serais une terre insensible ! avec quelle joie je me coucherais comme dans le sein de ma mère ! Là je reposerais et dormirais en sûreté. La terrible voix de Dieu ne tonnerait plus à mon oreille ; la crainte d’un mal pire pour moi et pour ma postérité ne me tourmenterait plus par une cruelle attente…

« Cependant, un doute me poursuit encore : s’il m’était impossible de mourir ; si le pur souffle de la vie, l’esprit de l’homme que Dieu lui inspira, ne pouvait périr avec cette corporelle argile ? Alors dans le tombeau, ou dans quelque autre funeste lieu, qui sait si je ne mourrai pas d’une mort vivante ? Ô pensée horrible, si elle est vraie ! Mais pourquoi le serait-elle ? Ce n’est que le souffle de la vie qui a péché ; qui peut mourir si ce n’est ce qui eut vie et péché ? le corps n’a proprement eu part ni à la vie ni au péché : tout mourra donc de moi : que ceci apaise mes doutes, puisque la portée humaine ne peut savoir rien au delà.

« Et parce que le Seigneur de tout est infini, sa colère le serait-elle aussi ? Soit ! l’homme ne l’est pas, mais il est destiné