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qui semble le plus sujet à la honte et le plus indécent à la vue. Les feuilles larges et satinées de quelque arbre, cousues ensemble et ceintes autour de nos reins, nous peuvent couvrir, afin que cette compagne nouvelle, la honte, ne siège pas là et ne nous accuse pas comme impurs. »

Tel fut le conseil d’Adam ; ils entrèrent tous deux dans le bois le plus épais : là ils choisirent bientôt le figuier, non cette espèce renommée pour son fruit, mais celui que connaissent aujourd’hui les Indiens du Malabar et du royaume de Decan ; il étend ses bras, et ses branches poussent si amples et si longues que leurs tiges courbées prennent racine ; filles qui croissent autour de l’arbre mère ; monument d’ombre à la voûte élevée aux promenades pleines d’échos : là souvent le pâtre indien, évitant la chaleur, s’abrite au frais et surveille ses troupeaux paissants, à travers les entaillures pratiquées dans la plus épaisse ramée.

Adam et Ève cueillirent ces feuilles larges comme un bouclier d’amazone : avec l’art qu’ils avaient ils les cousirent pour en ceindre leurs reins ; vain tissu ! si c’était pour cacher leur crime et la honte redoutée. Oh ! combien ils différaient de leur première et glorieuse nudité ! Tels, dans ces derniers temps, Colomb trouva les Américains portant une ceinture de plumes, nus du reste, et sauvages parmi les arbres, dans les îles et sur les rivages couverts de bois : ainsi nos premiers parents étaient enveloppés, et comme ils le croyaient, leur honte en partie voilée ; mais n’ayant l’esprit ni à l’aise ni en repos, ils s’assirent à terre pour pleurer.

Non-seulement des larmes débordèrent de leurs yeux, mais de grandes tempêtes commencèrent à s’élever au-dedans d’eux-mêmes, de violentes passions, la colère, la haine, la méfiance, le soupçon, la discorde ; elles ébranlèrent douloureusement l’état intérieur de leur esprit, région calme naguère et pleine de paix maintenant agitée et turbulente, car l’entendement ne gouvernait plus et la volonté n’écoutait plus sa leçon ; ils étaient assujettis tous deux à l’appétit sensuel dont l’usurpation, venue