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nombre de mains nous aident à soulager la nature de son enfantement. »

L’insidieuse couleuvre joyeuse et satisfaite :

« Impératrice, le chemin est facile et n’est pas long ; il se trouve au-delà d’une allée de myrtes, sur une pelouse, tout près d’une fontaine, quand on a passé un petit bois exhalant la myrrhe et le baume. Si tu m’acceptes pour conducteur, je t’y aurai bientôt menée. »

« Conduis-moi donc, » dit Ève.

Le serpent, guide, roule rapidement ses anneaux, et les fait paraître droits, quoique entortillés, prompt qu’il est au crime. L’espérance l’élève, et la joie enlumine sa crête : comme un feu follet, formé d’une onctueuse vapeur que la nuit condense et que la frigidité environne, s’allume en une flamme par le mouvement (lequel feu accompagne souvent, dit-on, quelque malin esprit) ; voltigeant et brillant d’une lumière trompeuse, il égare de sa route le voyageur nocturne étonné ; il le conduit dans des marais et des fondrières, à travers des viviers et des étangs où il s’engloutit et se perd loin de tout secours : ainsi reluisait le serpent fatal, et par supercherie menait Ève, notre mère crédule, à l’arbre de prohibition, racine de tout notre malheur. Dès qu’elle le vit, elle dit à son guide :

« Serpent, nous aurions pu éviter notre venir ici, infructueux pour moi, quoique le fruit soit ici en abondance. Le bénéfice de sa vertu sera seul pour toi ; vertu merveilleuse en vérité, si elle produit de pareils effets ! Mais nous ne pouvons à cet arbre ni toucher ni goûter : ainsi Dieu l’a ordonné, et il nous a laissé cette défense, la seule fille de sa voix : pour le reste, nous vivons loi à nous-mêmes ; notre raison est notre loi. »

Le tentateur plein de tromperie répliqua :

« En vérité ! Dieu a donc dit que du fruit de tous les arbres de ce jardin vous ne mangerez pas, bien que vous soyez déclarés seigneurs de tout sur la terre et dans l’air ? »

Ève, encore sans péché :

« Du fruit de chaque arbre de ce jardin nous pouvons man-