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port de déesse, quoiqu’elle ne fût point armée comme elle de l’arc et du carquois, mais de ces instruments de jardinage, tels que l’art, simple encore et innocent du feu, les avait formés, ou tels qu’ils avaient été apportés par les anges. Ornée comme Palès ou Pomone, elle leur ressemblait : à Pomone quand elle fuit Vertumne, à Cérès dans sa fleur, lorsqu’elle était vierge encore de Proserpine qu’elle eut de Jupiter. Adam était ravi, son œil la suivit longtemps d’un regard enflammé ; mais il désirait davantage qu’elle fût restée. Souvent il lui répète l’ordre d’un prompt retour ; aussi souvent elle s’engage à revenir à midi au berceau, à mettre toute chose dans le meilleur ordre, pour inviter Adam au repas du milieu du jour ou au repos de l’après-midi.

Oh ! combien déçue, combien trompée, malheureuse Ève, sur ton retour présumé ! événement pervers ! à compter de cette heure, jamais tu ne trouveras dans le paradis ni doux repas ni profond repos ! une embûche est dressée parmi ces fleurs et ces ombrages ; tu es attendue par une rancune infernale qui menace d’intercepter ton chemin, ou de te renvoyer dépouillée d’innocence, de fidélité, de bonheur !…

Car maintenant, et depuis l’aube du jour, l’ennemi (simple serpent en apparence) était venu, cherchant le lieu où il pourrait rencontrer plus vraisemblablement les deux seuls de l’espèce humaine, mais en eux toute leur race, sa proie projetée. Il cherche dans le bocage et dans la prairie, là où quelque bouquet de bois, quelque partie du jardin, objet de leur soin ou de leur plantation, se montrent plus agréable pour leurs délices ; au bord d’une fontaine ou d’un petit ruisseau ombragé, il les cherche tous deux ; mais il désirait que son destin pût rencontrer Ève séparée d’Adam ; il le désirait, mais non avec l’espérance de ce qui arrivait si rarement, quand, selon son désir et contre son espérance, il découvre Ève seule, voilée d’un nuage de parfums, là où elle se tenait à demi aperçue, tant les roses épaisses et touffues rougissaient autour d’elle ; souvent elle se baissait pour relever les fleurs d’une faible tige, dont la tête quoique d’une vive