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« Adam, nous pouvons nous occuper encore à parer ce jardin, à relever encore la plante, l’herbe et la fleur, agréable tâche qui nous est imposée. Mais jusqu’à ce qu’un plus grand nombre de mains viennent nous aider, l’ouvrage sous notre travail augmente, prodigue par contrainte : ce que, pendant le jour, nous avons taillé de surabondant, ou ce que nous avons élagué, ou appuyé, ou lié, en une nuit ou deux, par un fol accroissement, se rit de nous et tend à redevenir sauvage. Avise donc à cela maintenant, ou écoute les premières idées qui se présentent à mon esprit.

« Divisons nos travaux : toi, va où ton choix te guide, ou du côté qui réclame le plus de soin, soit pour tourner le chèvrefeuille autour de ce berceau, soit pour diriger le lierre grimpant là où il veut monter, tandis que moi, là-bas, dans ce plant de roses entremêlées de myrte, je trouverai jusqu’à midi des choses à redresser. Car lorsque ainsi nous choisissons tout le jour notre tâche si près l’un de l’autre, faut-il s’étonner qu’étant si près, des regards et des sourires interviennent, ou qu’un objet nouveau amène un entretien imprévu qui réduit notre travail du jour interrompu à peu de chose, bien que commencé matin ? Alors arrive l’heure du souper non gagnée. »

Adam lui fit cette douce réponse :

« Ma seule Ève, ma seule associée, à moi sans comparaison plus chère que toutes les créatures vivantes, bien as-tu proposé, bien as-tu employé tes pensées pour découvrir comment nous pourrions accomplir le mieux ici l’ouvrage que Dieu nous a assigné. Tu ne passeras pas sans être louée de moi, car rien n’est plus aimable dans une femme que d’étudier le devoir de famille et de pousser son mari aux bonnes actions. Cependant notre Maître ne nous a pas si étroitement imposé le travail, qu’il nous interdise le délassement quand nous en avons besoin, soit par la nourriture, soit par la conversation entre nous (nourriture de l’esprit), soit par ce doux échange des regards et des sourires, car les sourires découlent de la