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longs circuits promenant leurs sinueuses erreurs, elles se frayent un chemin, et percent dans le sol limoneux de profonds canaux ; chose facile avant que Dieu eût ordonné à la terre de devenir sèche partout, excepté entre ces bords où coulent aujourd’hui les fleuves qui entraînent incessamment leur humide cortège.

« Dieu appela terre l’élément aride, et le grand réservoir des eaux rassemblées il l’appela mer ; il vit que cela était bon, et dit :

« — Que la terre produise de l’herbe verte, l’herbe qui porte de la graine, et les arbres fruitiers qui portent des fruits, chacun selon son espèce, et qui renferment leur semence en eux-mêmes sur la terre. » —

« À peine a-t-il parlé que la terre nue (jusqu’alors déserte et chauve, sans ornement, désagréable à la vue), poussa une herbe tendre qui revêtit universellement sa surface d’une charmante verdure ; alors les plantes de différentes feuilles, qui soudain fleurirent en déployant leurs couleurs variées, égayèrent son sein suavement parfumé. Et celles-ci étaient à peine épanouies que la vigne fleurit, chargée d’une multitude de grappes ; la courge enflée rampa, le chalumeau du blé se rangea en bataille dans son champ, l’humble buisson et l’arbrisseau mêlèrent leur chevelure hérissée. Enfin s’élevèrent, comme en cadence, les arbres majestueux, et ils déployèrent leurs branches surchargées, enrichies de fruits ou emperlées de fleurs. Les collines se couronnèrent de hautes forêts ; les vallées et les fontaines de touffes de bois ; les fleuves de bordures le long de leur cours. La terre à présent parut un ciel, séjour où les dieux pouvaient habiter, errer avec délices, et se plaire à fréquenter ses sacrés ombrages.

« Cependant Dieu n’avait pas encore fait tomber la pluie sur la terre, et il n’y avait encore aucun homme pour labourer les champs ; mais il s’élevait du sol une vapeur de rosée qui humectait toute la terre, et toutes les plantes des champs, que Dieu créa avant qu’elles fussent dans la terre, toutes les