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le ciel l’obscurité, elle imposa le silence, et une agréable trêve à l’odieux fracas de la guerre ; sous son abri nébuleux se retirèrent le vainqueur et le vaincu. Michel et ses anges, restés les maîtres, campent sur le champ de bataille, posent leurs sentinelles alentour, chérubins agitant des flammes. De l’autre part, Satan avec ses rebelles disparut, au loin retiré dans l’ombre. Privé de repos, il appelle de nuit ses potentats au conseil ; au milieu d’eux et non découragé, il leur parle ainsi : « Ô vous, à présent par le danger éprouvés, à présent connus dans les armes pour ne pouvoir être dominés, chers compagnons, trouvés dignes non-seulement de la liberté (trop mince prétention), mais, ce qui nous touche davantage, dignes d’honneur, d’empire, de gloire et de renommée ! Vous avez soutenu pendant un jour dans un combat douteux (et si pendant un jour, pourquoi pas pendant des jours éternels ?), vous avez soutenu l’attaque de ce que le Seigneur du ciel, d’autour de son trône, avait envoyé de plus puissant contre nous, ce qu’il avait jugé suffisant pour nous soumettre à sa volonté : il n’en est pas ainsi arrivé !… Donc, ce me semble, nous pouvons le regarder comme faillible lorsqu’il s’agit de l’avenir, bien que jusque ici on avait cru à son omniscience. Il est vrai, moins fortement armés, nous avons eu quelques désavantages, nous avons enduré quelques souffrances jusque alors inconnues ; mais aussitôt qu’elles ont été connues, elles ont été méprisées, puisque nous savons maintenant que notre forme empyrée, ne pouvant recevoir d’atteinte mortelle, est impérissable ; quoique percée de blessures, elle se referme bientôt, guérie par sa vigueur native. À un mal si léger regardez donc le remède comme facile. Peut-être des armes plus valides, des armes plus impétueuses, serviront dans la prochaine rencontre à améliorer notre position, à rendre pire celle de nos ennemis, ou à égaliser ce qui fait entre nous l’imparité, qui n’existe pas dans la nature. Si quelque autre cause cachée les a laissés supérieurs, tant que nous conservons notre esprit entier et notre