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qui gouverne est le plus digne, et qu’il excelle sur ceux qu’il gouverne. La servitude est de servir l’insensé ou celui qui s’est révolté contre un plus digne que lui, comme les tiens te servent à présent, toi non libre, mais esclave de toi-même. Et tu oses effrontément insulter à notre devoir ! Règne dans l’enfer, ton royaume ; laisse-moi servir dans le ciel Dieu à jamais béni, obéir à son divin commandement qui mérite le plus d’être obéi ; toutefois attends dans l’enfer, non des royaumes, mais des chaînes. Cependant revenu de ma fuite, comme tu le disais tout à l’heure, reçois ce salut sur ta crête impie. » —

« À ces mots, il lève un noble coup qui ne resta pas suspendu, mais tomba comme la tempête sur la crête orgueilleuse de Satan : ni la vue, ni le mouvement de la rapide pensée, moins encore le bouclier, ne purent prévenir la ruine. Dix pas énormes il recule ; au dixième, sur son genou fléchi il est soutenu par sa lance massive, comme si, sur la terre, des vents sous le sol ou des eaux forçant leur passage eussent poussé obliquement hors de sa place une montagne, à moitié abîmée avec tous ses pins. L’étonnement saisit les Trônes rebelles, mais une rage plus grande encore, quand ils virent ainsi abattu le plus puissant d’entre eux. Les nôtres, remplis de joie et de l’ardent désir de combattre, poussèrent un cri, présage de la victoire. Michel ordonne de sonner l’archangélique trompette ; elle retentit dans le vaste du ciel, et les anges fidèles chantent Hosanna au Très-Haut. De leur côté, les légions adverses ne restèrent pas à nous contempler ; non moins terribles, elles se joignirent dans l’horrible choc.

« Alors s’élevèrent une orageuse furie et des clameurs telles qu’on n’en avait jamais jusqu’alors entendu dans le ciel. Les armes heurtant l’armure crient en horrible désaccord ; les roues furieuses des chariots d’airain rugissent avec rage : terrible est le bruit de la bataille ! Sur nos têtes les sifflements aigus des dards embrasés volent en flamboyantes volées, et en volant voûtent de feu les deux osts. Sous cette coupole ar-