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ils pourront habiter, à leur choix, ici ou dans le paradis céleste, si vous êtes trouvés obéissants, si vous gardez inaltérable un amour entier et constant à celui dont vous êtes la progéniture. En attendant, jouissez de toute la félicité que cet heureux état comporte, incapable qu’il est d’une plus grande. »

Le patriarche du genre humain répliqua :

« Ô esprit favorable, hôte propice, tu nous as bien enseigné le chemin qui peut diriger notre savoir, et l’échelle de nature qui va du centre à la circonférence ; de là en contemplation des choses créées nous pouvons monter par degrés jusqu’à Dieu. Mais dis-moi ce que signifie cet avertissement ajouté : Si vous êtes trouvés obéissants ? Pouvons-nous donc lui manquer d’obéissance, ou nous serait-il possible de déserter l’amour de celui qui nous forma de la poussière, et nous plaça ici, comblés au-delà de toute mesure d’un bonheur au-delà de celui que les désirs humains peuvent chercher ou concevoir ? »

L’Ange :

« Fils du ciel et de la terre, écoute ! Que tu sois heureux, tu le dois à Dieu ; que tu continues de l’être, tu le devras à toi-même, c’est-à-dire à ton obéissance : reste dans cette obéissance. C’est là l’avertissement que je t’ai donné : retiens-le. Dieu t’a fait parfait, non immuable ; il t’a fait bon, mais il t’a laissé maître de persévérer ; il a ordonné que ta volonté fût libre par nature, qu’elle ne fût pas réglée par le destin inévitable, ou par l’inflexible nécessité. Il demande notre service volontaire, non pas notre service forcé : un tel service n’est et ne peut être accepté par lui : car comment s’assurer que des cœurs non libres agissent volontairement ou non, eux qui ne veulent que ce que la destinée les force de vouloir, et qui ne peuvent faire un autre choix ? Moi-même et toute l’armée des anges qui restons debout en présence du trône de Dieu, notre heureux état ne dure, comme vous le vôtre, qu’autant que dure notre obéissance : nous n’avons point d’autre sûreté. Librement nous servons parce que nous aimons librement, selon qu’il est dans notre volonté d’aimer ou de ne pas aimer ;