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trois déesses fabuleuses qui luttèrent nues sur le mont Ida), Ève se tenait debout pour servir son hôte du ciel : couverte de sa vertu, elle n’avait pas besoin de voile ; aucune pensée infirme n’altérait sa joue. L’ange lui donna le salut, la sainte salutation employée longtemps après pour bénir Marie, seconde Ève.

« Salut, mère des hommes, dont les entrailles fécondes rempliront le monde de tes fils, plus nombreux que ces fruits variés dont les arbres de Dieu ont chargé cette table ! »

Leur table était un gazon élevé et touffu, entouré de sièges de mousse. Sur son ample surface carrée, d’un bout à l’autre, tout l’automne était entassé, quoique alors le printemps et l’automne dansassent ici main en main. Adam et l’ange discoururent quelque temps (ils ne craignaient pas que les mets refroidissent). Notre père commença de la sorte :

« Céleste étranger, qu’il te plaise goûter ces bontés que notre nourricier, de qui tout bien parfait descend sans mesure, a ordonné à la terre de nous céder pour aliment et pour délice ; nourriture peut-être insipide pour des natures spirituelles. Je sais seulement ceci : un Père céleste donne à tous. »

L’ange répondit :

« Ainsi ce qu’il donne (sa louange soit à jamais chantée) à l’homme en partie spirituel, peut n’être pas trouvé une ingrate nourriture par les purs esprits. Les substances intellectuelles demandent la nourriture comme vos substances rationnelles ; les unes et les autres ont en elles la faculté inférieure des sens au moyen desquels elles écoutent, voient, sentent, touchent et goûtent : le goût raffine, digère, assimile, et transforme le corporel en incorporel.

« Sache que tout ce qui a été créé a besoin d’être soutenu et nourri : parmi les éléments, le plus grossier alimente le plus pur : la terre et la mer nourrissent l’air, l’air nourrit ces feux éthérés, et d’abord la lune, comme le plus abaissé : de là sur sa face ronde ces taches, vapeurs non purifiées qui ne sont point encore converties en sa substance. La lune de son continent humide, exhale aussi l’aliment aux orbes supérieurs.