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étonnés de voir si subitement le terrible monarque. Cependant non émus de frayeur, ils l’accostent bientôt :

« Lequel es-tu de ces esprits rebelles adjugés à l’enfer ? Viens-tu échappé de ta prison ? Et pourquoi transformé, te tiens-tu comme un ennemi en embuscade, veillant ici au chevet de ceux qui dorment ? »

« Vous ne me connaissez donc pas, reprit Satan plein de dédain ; vous ne me connaissez pas, moi ? Vous m’avez pourtant connu autrefois, non votre camarade, mais assis où vous n’osiez prendre l’essor. Ne pas me connaître, c’est vous avouer vous-mêmes inconnus, et les plus infimes de votre bande. Ou, si vous me connaissez, pourquoi m’interroger et commencer d’une manière superflue votre mission, qui finira d’une manière aussi vaine ? »

Zéphon lui rendit mépris pour mépris :

« Ne crois pas, esprit révolté, que ta forme restée la même, ou que ta splendeur non diminuée, doivent être connues, comme lorsque tu te tenais dans le ciel droit et pur. Cette gloire, quand tu cessas d’être bon, se sépara de toi. Tu ressembles à présent à ton péché, et à la demeure obscure et souillée de ta condamnation. Mais viens ; car il faudra, sois-en sûr, que tu rendes compte à celui qui nous envoie, et dont la charge est de conserver ce lieu inviolable et de préserver ceux-ci de tout mal. »

Ainsi parla le chérubin : sa grave réprimande, sévère dans une beauté pleine de jeunesse, lui donnait un grâce invincible. Le Démon resta confus ; il sentait combien la droiture est imposante, et il voyait combien dans sa forme, la vertu est aimable ; il le voyait, et gémissait de l’avoir perdue, mais surtout de trouver qu’on s’était aperçu de l’altération sensible de son éclat. Toutefois il paraissait encore intrépide.

« Si je dois combattre, dit-il, que ce soit le chef contre le chef, contre celui qui envoie, non contre celui qui est envoyé, ou contre tous à la fois ; plus de gloire sera gagnée, ou moins perdue. »