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CHATEAUBRIAND


Il est des hommes qui tiennent une si grande place dans l’humanité, qui sont si indissolublement liés aux faits généraux de leur temps, et qui, pour ainsi dire, absorbent une si grande portion de l’air distribué à leurs contemporains, que vouloir raconter leur vie, ce serait raconter celle de leur siècle. La seule biographie qui puisse leur suffire, c’est l’histoire. Mais ils sont rares ceux auxquels il a été donné de représenter simultanément les deux faces de la société dans laquelle ils ont vécu, d’en reproduire à la fois le côté public et le côté intime ; d’être en même temps l’écho de la pensée de tous et de la conscience de chacun, du sentiment collectif et de la rêverie solitaire. M. de Chateaubriand eut cet honneur et cette grandeur. Sa vie, c’est à la fois l’histoire et le roman de son temps. C’est l’expression la plus complète de la société moderne, avec ses doutes, ses agitations, ses tempêtes, ses déchirements, ses aspirations à un avenir inconnu. Nul n’a compris comme lui ce vague des passions, cet indéfinisable besoin de croire et d’aimer et ce dégoût prématuré de la