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Les précipices d’iniquité de cet autre Tout, de cet autre Illimité

Créé par ta propre toute-puissance de négation.

Ce lieu séparé, différent, hideux, cet immense cerveau délirant de Lucifer

Où j’ai subi durant l’éternité l’épreuve de la multiplication des grands fulgurants, des systèmes déserts.

Le plus atroce était au zénith et je le voyais comme d’un précipice de soleil noir.

Ah ! sacrilège infini auprès duquel le saint cosmos développé devant notre monde infime

Est comme un carré de givre illuminé pour la Nativité et prêt à fondre au souffle de l’Enfant.

Car tu es Celui qui est. Toutefois, tu es au-dessus de toi-même et de cette nécessité absolue par laquelle tu es.

Voilà pourquoi, Affirmateur, la totale négation est en toi, liberté de prier ou de ne pas prier. Voilà pourquoi aussi tu fais passer les affirmateurs par les grandes épreuves de la négation.

Car tu m’as jeté dans la chaleur la plus noire de cette éternité d’épouvante où l’on se sent saisi

À la mâchoire par le harpon de feu et suspendu dans la folie du vide parfait,

Dans cette éternité où les ténèbres sont l’absence de l’autre soleil, l’extinction de la joyeuse ellipse d’or ;

Où les lumières sont fureur. Où toute chose est moelle de l’iniquité.

Où l’opération de la pensée est unique et sans fin, partant du doute pour aboutir au rien.

Où l’on n’est pas solitaire mais solitude, ni abandonné mais abandon, ni damné mais damnation.