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PETITES OUVRIÈRES


Midi : voici sonner l’heure des ouvrières :
Le soleil cuit l’asphalte mou sur les trottoirs :
C’est l’heure où, sur l’étain vulgaire des comptoirs,
Luisent les verres pleins d’absinthes meurtrières.

Midi : « Plumes et Fleurs » et « Robes et Manteaux »
C’est un long défilé de filles maigrelettes,
Sortant des ateliers pour faire leurs emplettes :
De la charcuterie et de banals gâteaux.

D’autres, par deux ou trois, vont dans les crémeries :
Et, toutes, se penchant pour lire le menu,
Choisissent, avec un frais sourire ingénu,
Dans la liste des mets, les plats à sucreries.

Ce mince déjeuner ne leur coûte pas cher :
Quinze ou vingt sous ; et puis, deux sous de violettes
Et les mignonnes au travail rentrent seulettes,
Les fleurs se parfumant du parfum de leur chair.

Le rouge de leur joue est de mauvais augure ;
Un mal futur se lit dans leur regard trop clair ;
Leur rire sonne faux et tristement, dans l’air,
Malgré que leur jeunesse anime leur figure.