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infranchissables. Les mont Cenis, les Simplon et les Gothard entr’ouvrent leurs flancs sous la poussée de la vapeur ; les continents s’écartent pour livrer passaje à de nouveaus Argonautes et se laissent docilement creuzer pour unir les Océans. Hier c’était Suez et Corinthe, demain ce sera Panama.

Mais combien il est autrement malaizé de raprocher les esprits ! Combien il est plus facile de percer des tunels ou de creuzer des istmes, de lancer des aéronefs, que d’escalader ou de renverser les barrières adamantines qu’a élevé entre les peuples la diversité des langues !

Vous vous évertuez tous les jours, Mesdemoizèles, à votre corps défendant quelquefois, il faut bien le dire, à escalader l’un ou l’autre de ces murs de Chine qui barrent les frontières intèlectuèles des peuples. Mais ces murs sont si hauts, ils sont si escarpés, ils prézentent tant d’aspérités ! Et puis, il y en a tant ! Anglais, alemand, espagnol, italien, russe, que sais-je encore ? C’est à dézespérer ! Et l’on dézespère si bien, l’on dézespère avec tant d’ensemble qu’après s’être plus ou moins déchiré les ongles et meurtri les jenous, l’on renonce à l’escalade, l’on reste au pied du mur, et le raprochement des esprits n’a pas fait un pas de plus.

I

Faut-il donc renoncer à percer le tunel intèlectuel qui raprochera les esprits come sont déjà raprochés les corps ; faut-il dézespérer de creuzer jamais les istmes qui font encore obstacle à la réunion des nacions et des races ?

Et ne se rencontrera-t-il pas un home de jénie, injénieur ès-langues, qui saura frayer à l’Humanité la grande voie trionfale qui, à travers mers et océans, sera le rendez-vous comun de tous les peuples et les dirijera vers ces libres royaumes de l’esprit où s’éfectuera enfin l’évolution dernière de l’universèle solidarité ?

Cet home de jénie existe, Mesdemoizèles, et son œuvre s’apèle l’Espéranto.

Mais avant de vous entretenir de cette langue « espéranto » qui se prézente à nous come l’idiome internacional cherché, peut-être ne sera-t-il pas inutile d’examiner à part la question de la langue internacionale, ne serait-ce que pour dissiper les préjujés ou les prévencions dont èle est encore trop souvent l’objet.

Nous traiterons sucsessivement les points suivants :

1o Une langue internacionale est-èle nécessaire ?

2o Quèle sera cète langue et quèles en devront être les qualités ?

3o La langue espéranto est-èle la solucion cherchée ?