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Il choisit la plus grande aux facettes vermeilles.
(C’est un don de Robak et c’est de la liqueur
De Dantzig, la boisson si chère à notre cœur.)
« Vive Dantzig ! cria le Juge : à les entendre,
Dantzig est aux Prussiens : nous saurons le reprendre ! »
Et dans les gobelets il verse et verse encor :
Aux rayons, du soleil brillent les feuilles d’or.[1]

Dans les chaudrons cuisait le bigos[2]. Par des rimes
Comment peindre son goût et ses parfums sublimes ?
Mes vers seraient pour vous des mots vides de sens,
Estomacs citadins, raffinés, impuissants.
Pour goûter nos chansons et nos mets, il faut être
Bien portant, campagnard, chasseur et s’y connaître.

Mais sans cela pourtant le bigos est un plat
Dont peut se délecter tout palais délicat.
Vous prenez tout d’abord cette bonne choucroute
Qui, comme on dit chez nous, des lèvres sait la route.[3]
Mise dans le chaudron, ses humides réseaux
D’une viande choisie imprègnent les morceaux ;
On la laisse exprimer sa force nutritive ;
A la fin la vapeur hors du vase s’esquive
Et de son âcre arôme elle embaume les airs.

Le Bigos est prêt. Tous ont saisi leurs cuillers ;
Au siège des chaudrons on se presse, on se rue.
L’airain gronde, fume, et… le bigos diminue.
Plus rien… que la vapeur qui monte encore aux flancs
Des vases, comme au sein refroidi des volcans.

Quand tous sont bien repus, on serre la vaisselle,
On met l’ours sur un char et puis on monte en selle.
Tous sont joyeux, causeurs, excepté l’Assesseur
Et le Notaire… Tout augmente leur fureur :
De son petit fusil l’un vante la justesse,
De son fusil anglais l’autre exalte l’adresse.
Quant au Comte et Thadée ils ont avec l’ennui
D’avoir manqué leur coup, la honte d’avoir fui.
Or, laisser des traqueurs un ours forcer la ligne,
De la part d’un chasseur est une faute insigne.

  1. On sait que l’eau-de-vie de Dantzig contient de légères paillettes d’or.
  2. Choucroute garnie, mets traditionnel en Pologne
  3. Kapusta, co sama idzie w usta ; mot à mot cette choucroute qui va d’elle-même dans la bouche (proverbe).