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Arranger entre nous cette affaire en douceur.
Il faut les rapprocher. Qu’importe leur jeunesse ?
Sophie est une enfant, direz-vous, rien ne presse.
Mais le temps est venu de la faire sortir :
C’est une enfant, ma sœur, qui commence à grandir. »
Télimène à ces mots surprise et toute pâle
Se levait lentement, à genoux sur le châle.
D’abord elle écoutait ; bientôt d’un mouvement
De main elle sembla repousser vivement
Çes propos importuns, comme on chasse une mouche,
Vers la bouche du juge.
Vers la bouche du juge. « Ah ! voilà qui me touche !
Que ce soit pour Thadée avantageux ou non,
Dit-elle, vous pouvez trancher la question ;
Ce n’est pas mon affaire ; et que votre jeune homme
Devienne par vos soins aubergiste, économe,
Qu’il tienne cabaret ou se fasse piqueur,
Peu m’importe après tout. Mais Sophie et son cœur !
Qu’a-t-elle de commun avec vous ? Ma pupille
Dépend de moi. Jacek a pour la jeune fille
Pu payer de son bien les frais de pension
Et nous faciliter son éducation,
Sans l’avoir achetée encor ! Dieu me pardonne,
Vous savez, et ce n’est un secret pour personne,
Que, pour faire les grands, vous avez vos raisons,
Et qu’il est une dette entre nos deux maisons. »
(Le juge l’écoutait avec impatience
Et ne put à ces mots cacher sa répugnance ;
Aussi, comme il craignait d’en entendre encor plus,
Il approuvait du geste et semblait tout confus.)

Télimène acheva : « Sophie est ma pupille ;
Je suis sa protectrice et toute sa famille.
Seule je dois avoir le soin de son bonheur. »
— « Et si ce mariage était selon son cœur »,
Dit le Juge en levant les yeux ; « et si Thadée
Lui plaisait… ? — « Lui plaisait ?… Voyez l’étrange idée !
Hé ! qu’il lui plaise ou non, cela m’importe bien !
Il est vrai que pour dot ma pupille n’a rien ;
Mais elle ne sort pas d’une noblesse… basse ;
Elle a des Palatins dans son illustre race.
Sa mère est Horeszko ! N’est-ce rien que ce nom ?
D’ailleurs, j’ai tant soigné son éducation !…
Elle mourrait ici… » Le Juge pense, écoute,
La regarde ; il finit par s’apaiser sans doute.