Ses yeux bleus étaient doux ; sur ses longs cheveux blonds
Des brins d’herbe enlacés, des débris de houblons
Qu’il avait en rampant pris dans la plate-bande
Semblaient le reste épars d’une verte guirlande.
« Oh ! dit-il, quelque nom qu’on doive à ta beauté,
Esprit ou vision, Nymphe ou divinité,
Parle ! Est-ce ton vouloir qui te retient sur terre
Ou bien l’inique effort d’une force étrangère ?
Ah ! je comprends : sans doute un amant méprisé,
Quelque puissant seigneur, quelque tuteur rusé
T’enferme dans ce parc, ô princesse enchantée ?
Toi, par les ménestrels digne d’être chantée.
Héroïne au front pur, reine des vieux romans,
Révèle-moi, beauté, tes secrets, tes tourments :
Je serai ton sauveur. Esclave de tes charmes,
Mon cœur est sous tes lois : règne aussi sur mes armes. »
Il dit et tend son bras.
Aux mots de l’inconnu
La jeune fille ébauche un sourire ingénu.
Comme un enfant se plait aux couleurs éclatantes
Et s’amuse à toucher des pièces d’or luisantes
Sans en savoir le prix, elle aime ce fracas
De mots harmonieux qu’elle ne comprend pas.
Elle lui dit enfin : « Monsieur veut-il m’instruire
De ce qu’il fait céans et de ce qu’il désire ? »
Le Comte ouvrit les yeux… Plein de confusion,
Il se tait, puis enfin répond, changeant de ton :
« Pardon d’avoir troublé vos yeux, Mademoiselle !
Oh ! pardon mille fois !… Mais la cloche m’appelle
Au déjeuner ; j’ai craint de me mettre en retard.
Par la route ordinaire on fait un grand écart.
A travers le jardin j’abrégerai sans doute. »
— Eh bien, Monsieur, je vais vous montrer votre route ;
Mais ne m’abîmez pas mes fleurs… Ce sentier-ci,
Sur l’herbe ! — « Par-là, dit le Comte, ou par ici ? »
Elle leva ses yeux d’azur, toute surprise
Que le Comte insistât et ne l’eût pas comprise.
La maison devant lui se dressait à cent pas,
Et le Comte hésitait… Mais il ne voulait pas
Rompre encor l’entretien et cherchait dans sa tête
Pour le faire durer quelque prétexte honnête.
« Vous logez, n’est-ce pas, non loin de ce verger ?
Sans doute vous venez d’un pays étranger ?
Non ? Mais comment ? Alors je devrais vous connaître !
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