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Aspirer les senteurs dont mon âme s’enivre,
Bon… un chien accourait levant la queue en l’air
Et l’oreille en arrêt comme un suppôt d’enfer.
J’en avais peur souvent. Je sentais dans mon âme
Qu’il en résulterait un malheur. O l’infâme !
Je le vis à mes pieds étrangler un matin
Mon bien-aimé, Messieurs, dans mon propre jardin,
Mon épagneul. C’était une bête divine,
Un cadeau que m’avait fait le prince Soukine
En souvenir : malin, vif comme un écureuil.
Dans ma console j’ai son portrait… Oh ! quel deuil !
Le voyant étranglé, j’eus d’étranges tristesses,
Des palpitations, des spasmes, des faiblesses.
Dieu sait ce que peut-être il en fût résulté,
Quand par bonheur survint dans mon palais d’été
Kirylo Gavrylitch, le Veneur redouté.
Il s’enquiert du motif qui trouble ainsi mes veilles,
Fait traîner l’employé chez moi par les oreilles ;
L’autre arrive tremblant : « Vous faites des merveilles !
Et qui donc au printemps, tonna mon Grand Veneur,
Chasse une biche pleine au nez de l’Empereur ? »
L’employé stupéfait demande en vain sa grâce,
Disant qu’il n’avait pas encore ouvert la chasse,
Et pensait, si le Grand Veneur le voulait bien,
Que la victime était non un cerf, mais un chien.
« Quoi ? cria Kirylo, prétendrais-tu, canaille,
Savoir mieux du gibier et le poil et la taille,
Que moi, Kozodusin, Grand Veneur du Palais ?
Eh bien, du Commissaire acceptons les arrêts ! »
Le Commissaire arrive, on commence l’enquête :
« Moi, dit Kozodusin, j’affirme sur ma tête
Que c’est un cerf, et lui que c’est un simple chien ;
Décidez : dites-moi si je n’y connais rien ! »
Le Commissaire vit ce qu’il avait à faire.
Il sourit, prit à part l’employé téméraire,
Et fraternellement lui donna le conseil
D’avouer son erreur en un débat pareil.
Le Veneur radouci dit avec obligeance
Qu’il daignerait du Tzar provoquer l’indulgence :
Bref, on fit simplement pendre les lévriers :
L’employé fut aux fers pendant deux mois entiers.
Nous rîmes tout le jour de cette bonne histoire.
Le lendemain partout ce fut chose notoire ;
Et l’arrêt sur mon chien rendu par le Veneur
A même, je le sais, fait rire l’Empereur. »