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Des Horeszko, seigneurs de l’antique édifice ;
Grand vieillard grisonnant, son visage attristé
Annonçait cependant la force et la santé.
Pour sa joyeuse humeur il fut jadis célèbre ;
Mais, son maître étant mort, depuis ce jour funèbre
On ne reconnut plus Gervais ; et désormais
Aux noces, aux banquets on ne le vit jamais ;
Plus de ces mots plaisants qu’il aimait tant à dire ;
Sur ses traits assombris, plus l’ombre d’un sourire :
Il porte encor l’habit des gens de la maison,
La kurta jaune à pans, que borde un vieux galon
Qui fut jadis doré : de vieilles broderies
S’étalent par côté : ce sont des armoiries.
Un regard attentif y peut voir le blason
Des Horeszko : c’était sans doute la raison
Qui l’avait fait nommer Pół-kozic, demi-chèvre[1].
Du dicton qui toujours revenait sur sa lèvre,
On l’appelait « mon maître » ou bien « le balafré » :
Son nom est Rembajło, son blason ignoré.
Son titre est porte-clefs[2] : il garde en sa vieillesse
L’emploi qu’il exerçait au temps de sa jeunesse.
Il porte à sa ceinture un lourd trousseau de clés
Pendant à des cordons solidement bouclés.
Mais il n’ouvre plus rien : c’est en vain qu’il les porte.
Pourtant il a fini par trouver une porte :
Il l’a fait à ses frais réparer, raffermir,
Et tous les jours il vient s’amuser à l’ouvrir.
La ruine est de tous le séjour qu’il préfère.
Chez le Comte il pourrait bien vivre sans rien faire :
Mais Gervais dépérit, Gervais voit tout en noir,
S’il ne respire plus l’air de son vieux manoir.

Il aperçoit le Comte, il saisit sa coiffure
Et devant son seigneur prend une humble posture ;
Baissant son crâne chauve, immense et reluisant,
Où balafres sans nombre allaient s’entrecroisant,
Il caresse ce crâne, et, tout triste, après s’être
Incliné de nouveau, s’avance et dit : « mon maître,
(Que Monsieur de ce mot ne soit pas irrité :
C’est habitude et non familiarité.)
« Mon maître » est le dicton des seigneurs que je pleure ;
Le Panetier[3] surtout l’employait à toute heure.

  1. Nom du blason des Horeszko.
  2. En polonais klucznik : titre inférieur de l’ancienne République.
  3. En polonais Stolnik : c’était une des hautes dignités de la République. Le dernier des Horeszko portait ce titre, sous lequel Gervais le désigne ici.