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Des procès autrefois plaidés en sa présence
Et de ceux dont plus tard il a pris connaissance.
Ce ne sont que des noms pour les simples mortels
Pour lui c’est le croquis de tableaux solennels.
Il lit, il se souvient : Ogiński, de Wizgirde ;
Dominicains, Rymsza ; Rymsza, de Wysogirde,
Radziwiłł, Wereszczak ; Giedroyé, Rdułtowski ;
Obuchowicz, les Juifs ; Juraha, Piotrowski
Malewski, Mickiewicz ; et maintenant le Comte
Et Soplitza… Pendant qu’il lit, il se rend compte
De ces procès fameux et de leurs incidents.
Il voit le Tribunal, juges, témoins, plaidants.
Il se revoit lui-même avec sa veste blanche
Et son kontusz grenat, debout, poing sur la hanche,
L’autre main sur la table, et, de tous ses poumons,
Criant : « Messieurs, silence ! » en appelant les noms.
Et le dernier huissier du Tribunal achève
Sa prière du soir et sa lecture en rêve…

Tels étaient les débats et les plaisirs divers
De ce village obscur, lorsque tout l’univers
Se noyait dans le sang ; lorsque, armé du tonnerre,
Entouré d’escadrons, César, dieu de la guerre,
Attelant à son char l’aigle blanc, l’aigle d’or,
Foudroyait tour à tour les Alpes, le Thabor,
Sillonnait le désert, des monts foulait le faîte.
La victoire marchait devant lui. La conquête
Le suivait, et sa gloire allait, se grossissant
De noms de cent héros, du Nil rougi de sang
Vers le Nord. Jusqu’aux bords du Niemen elle arrive,
Se heurte aux bataillons russes, qui, sur la rive,
Opposant à sa voix leur muraille de fer,
La redoutent autant que la Peste ou l’Enfer.

Parfois pourtant du ciel il tombe une nouvelle
Au-delà du Niemen. Un mendiant appelle :
Un bras lui manque ; on ouvre ; on lui donne à manger.
Il regarde s’il peut tout dire sans danger.
Et, quand il ne voit pas de soldats moscovites,
De cols rouges, de Juifs en bonnets, en lévites,
Il se fait reconnaître : il vient des légions ;
Il veut que ses vieux os dorment dans les sillons
Qu’il ne peut plus défendre… Alors, comme on s’empresse
Autour de lui, comme on l’embrasse avec tendresse !
Comme on pleure Il raconte, et tous, en cercle assis,
Ecoutent jusqu’au soir ses étonnants récits.