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Dès qu’ils eurent compris, on vit les auditeurs
Se prosterner aux pieds de leurs libérateurs ;
« Vivent nos bons seigneurs ! » crient-ils avec des larmes.
— « A nos concitoyens ! à nos compagnons d’armes ! »
Répond Thadée. — « Au peuple ! » a crié Dąbrowski ;
« Vivent nos chefs ! » reprend le peuple, et c’est à qui
Criera plus haut parmi cette foule charmée :
« Vivent tous les États ! Et le peuple et l’armée ! »

Mais Buchman seul n’est pas dans le ravissement :
Il veut à ce projet faire un amendement ;
Il croit qu’un Comité nommé légalement
Doit tout examiner…

Doit tout examiner… Par malheur le temps presse :
Buchman en sera donc pour ses frais de sagesse,
Car à travers la cour s’avancent pas à pas
Dames et villageois, fillettes et soldats.
Tous réclament déjà la Polonaise antique ;
Déjà les officiers font venir leur musique ;
Mais le Juge tout bas a dit au Général :
« L’orchestre servira plus tard, pendant le bal.
De Thadée aujourd’hui se font les fiançailles ;
Or, pour les jours de noce et pour les accordailles
Nous nous servons toujours d’instruments villageois
Tympanon, violon, musette. Je les vois
Trembler d’impatience ; et, là-bas, la musette
M’adresse du regard sa requête muette.
Si je leur disais non, ils s’en iraient fâchés,
Et nos gens pour danser seraient bien empêchés.
Laissons-les donc jouir de leur danse rustique,
Puis nous écouterons votre belle musique. »
Il fait un signe.

Il fait un signe. Alors, l’agile violon
Serre le manche, au bois ajuste son menton.
L’archet comme un cheval court sur la chanterelle.
Les joueurs de musette, au bruit qui les appelle,
En agitant leurs bras, gonflent leur instrument.
Leurs visages bouffis se remplissent de vent ;
Ils semblent s’envoler tous deux dans l’Empyrée,
Semblables à deux fils joufflus du dieu Borée.

Parmi tant de joueurs de tympanon, lequel
Aurait jamais osé jouer devant Jankiel ?