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Les plumes comme lui les têtes. Sans railler,
Il a coupé des nez, des oreilles sans nombre !
Et ce Canif n’a pas de brèches ! Jamais l’ombre
D’un attentat honteux, d’un acte criminel !
Jamais rien que la guerre ouverte — ou le duel !
Un seul homme (Seigneur, accordez-lui le ciel !)
Est tombé désarmé sous ses coups : mais du reste,
C’était pro publico bono, je vous l’atteste. »

— « Voyons, « dit Dąbrowski ; » sortez-le du fourreau !
« Quel canif ! C’est plutôt un glaive de bourreau ! »
Le contemplant avec une stupeur profonde,
Aux autres officiers il le montre à la ronde.
Tous veulent l’essayer : mais à peine un ou deux
Peuvent lever en l’air le Canif merveilleux.
Dembiński, disait-on, serait certes capable
De soulever ce fer, mais il n’est pas à table ;
Si bien que seuls le chef d’escadron Dwernicki[1]
Et le jeune et vaillant lieutenant Różycki[2]
Purent le manœuvrer de gaillarde manière.
Ainsi de main en main l’on passait la rapière.

Mais enfin Kniaziewicz, le plus géant d’entre eux,
Se montra le plus leste et le plus vigoureux.
La rapière en sa main fait l’effet d’une aiguille
Qui lance des éclairs et s’agite et scintille.
A l’escrime du sabre il excelle, on le voit :
La croix, le moulinet, la courbe, le coup droit,
Rien n’y manque : les temps, et tierce, et contrepointe !
Et dans son jeu la force à la science est jointe.

Tandis qu’il s’escrimait en riant, à genoux
Devant lui, Rembaïło criait à tous ses coups
En sanglotant : « Bravo, Général, à merveille !
Vous étiez donc à Bar ! Adresse sans pareille !
C’est Puławski (3) pointant ! Voilà Dzierżanowski (3) !
C’est Sawa (3) ! Mais c’est donc de Maciej Dobrzyński
Que vous avez appris ceci ! Jésus, Marie !
Mais c’est mon coup, cela, le mien, sans vanterie !

[3]

  1. Plus tard général de division en 1831, vainqueur des Russes à Stoczek ; en émigration il fonda l’Ecole polonaise des Batignolles ; il est mort en Galicie.
  2. Célèbre en 1831 comme chef de la cavalerie volhynienne, mort en émigration, où il fut l’ami de Mickiewicz.
  3. Casimir Puławski fut le chef principal de la confédération de Bar et alla se faire tuer à Savannah en combattant pour l’indépendance américaine. Dzierżanowski et le cosaque Sawa sont aussi deux héros populaires de la confédération de Bar. (V. RULHIÈRE, Anarchie de Pologne).