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Je ne suis point un fat : j’ai voulu mériter
Mon bonheur, pour toujours dussè-je vous quitter.
Aujourd’hui vous daignez tenir votre promesse.
Mais comment ai-je pu gagner votre tendresse ?
N’allez pas m’épouser moins par affection
Que par obéissance et par soumission.
Zosia, le mariage est une chose grave.
Consultez votre cœur ; ne soyez point esclave.
Oubliez vos tuteurs et leur autorité.
Si vous n’avez pour moi rien que de la bonté,
Remettons à plus tard cette cérémonie.
Zosia, je puis attendre encor l’heure bénie.
Rien ne presse ; hier soir j’ai reçu par faveur
L’ordre de demeurer ici comme instructeur
Jusqu’à convalescence et guérison complète.
Vous vous taisez, Zosia ? »

Vous vous taisez, Zosia ? » Levant alors la tête,
Zosia timidement dit en le regardant :
« Je ne me souviens plus du passé. Cependant
Je sais que l’on m’a dit : il faut être sa femme ;
Or, aux ordres du Ciel pliant toujours mon âme,
J’écoute mes tuteurs… Baissant ses yeux troublés,
Elle ajoute : « Ce soir, si vous vous rappelez,
Où le Père Robak mourut, après l’orage,
J’ai vu qu’en nous quittant vous manquiez de courage ;
Vos yeux étaient mouillés… Ces larmes, croyez-moi
M’ont touchée, et dès lors en votre amour j’eus foi.
Quand je priais pour vous, je ne sais pas pourquoi
En disant votre nom je revoyais sans cesse
Vos yeux brillants de pleurs, vos traits pleins de tristesse.
Et quand la Présidente, en partant à Vilna
Pour y passer l’hiver, malgré moi m’emmena,
Je regrettais toujours ces lieux, et la chambrette
Où vous m’aviez un soir surprise à ma toilette :
Vous vous rappelez bien… Ce souvenir touchant
Comme un grain qu’en automne on sème dans un champ,
J’ai senti tout l’hiver en moi grandir sa sève…
Ma chambrette… Toujours je la voyais en rêve.
Je ne sais quelle voix me murmurait tout bas :
Tu l’y verras encor. Je ne me trompais pas.
Ce rêve dans l’esprit, votre nom sur les lèvres,
Des fêtes de Vilna je dédaignais les fièvres.
Mes compagnes disaient qu’on m’avait pris mon cœur :
S’il est vrai, c’est vous seul qu’il nomme son vainqueur.»