LIVRE XI
L’ANNÉE 1812 (ROK 1812)
O grande année ! A toi chez nous l’on rêve encor.
Le peuple dit de toi « l’année aux épis d’or »,
Et le soldat « l’année aux combats ». Chacun aime
Te rappeler ; aux chants tu sers encor de thème.
Dès longtemps ta venue était inscrite aux cieux ;
Tu te fis précéder de bruits mystérieux.
Quand parut ton printemps, émotion profonde,
Chacun semblait se dire : est-ce la fin du monde ?
Et tous nous attendions, joyeux et frémissants.
Le jour où l’on chassa le bétail vers les champs,
On le vit, oubliant sa maigreur et son jeûne,
Au lieu de se jeter sur l’herbe encore jeune[2],
Se coucher sur le sol, et, tout en humant l’air,
Beugler, ou ruminer le foin mangé l’hiver.
Le villageois, traînant par les prés sa charrue,
N’est point heureux de voir la brume disparue ;
Il se met au travail sans entrain, sans chanson,
Et paraît oublier semailles et moisson.