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Qu’à l’aube du printemps luira la délivrance ;
Et vous qui pour l’exil partez le deuil au cœur,
Vous nous ramènerez Napoléon vainqueur.
Le Juge s’est chargé des apprêts du voyage :
Quant aux frais, à payer ce qu’il faut je m’engage. »

L’avis du Président fut approuvé de tous.
Qui du Tzar, on le sait, s’attire le courroux,
Ne peut plus avec lui vivre en paix sur la terre ;
Il n’a plus qu’à choisir ou la mort ou la- guerre.
Tous, muets, tristement échangent un regard,
Soupirent, et des yeux consentent au départ.

Bien que les Polonais adorent leur patrie
(Le monde entier le sait) cent fois plus que la vie,
Ils n’hésitent jamais à quitter leurs foyers
Pour vivre malheureux parmi les étrangers,
Pour lutter, pour souffrir, tant qu’ils ont l’espérance
De servir la Pologne au prix de leur souffrance.

A partir sur-le-champ tous se déclarent prêts.
Buchman veut discuter, sauf à partir après.
Buchman s’est bien gardé d’assister à la lutte,
Mais il accourt bientôt dès qu’il sait qu’on discute.
Le plan lui semble bon : il voudrait seulement
L’exposer plus au long, l’expliquer clairement,
Et voir un Comité nommé légalement
Pour peser les moyens, les buts et le programme
De l’émigration… Voilà ce qu’il réclame.
Par malheur le temps presse et ne permettrait pas,
Comme le veut Buchman, de prolixes débats.
On hâte les adieux et l’on se met en route.

Mais le Juge retient Thadée, et dit : « Écoute,
Robak, je dois t’apprendre un secret très certain,
Dont je suis informé depuis hier matin.
Thadée aime Zosia », dit-il, « du fond de l’âme.
Il doit donc aujourd’hui la demander pour femme.
Télimène a cédé : j’ai son consentement.
Zosia de ses tuteurs suivra le sentiment.
Ne pouvant en ce jour faire les épousailles,
Qu’ils échangent du moins l’anneau des fiançailles
Dès ce soir… Car le cœur, malgré sa passion,
A son âge est sujet à la tentation.
Et quand sur cet anneau le regard se dirige,