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« Le loup croquait, dit-il, on a croqué le loup ! »
— « Qu’il dorme en paix ! » reprit le Président. — « J’espère
Que Dieu seul, dit le Juge, a conduit cette affaire :
Moi, je n’en ai rien su ; je suis pur de ce sang. »

Quant au moine, il s’était dressé sur son séant.
Enfin au Porte-Clefs il dit, l’œil plein de larmes :
« C’est très mal de tuer un prisonnier sans armes.
On doit respecter même un ennemi mortel.
De ce meurtre, Gervais, tu rendras compte au Ciel.
Un seul cas est permis, c’est quand on fait la chose
Pro publico bono, non pour une autre cause. »
Gervais, le bras tendu, dit en clignant des yeux :
«  Pro publico bono j’ai tout fait pour le mieux. »

Puis on ne parla plus de Plout. Dans le domaine
On fit pour le trouver mainte recherche vaine ;
En vain de tous côtés chacun avait couru.
Comme un caillou dans l’onde il était disparu.
Où l’avait mis Gervais ? Chacun devine et glose,
Mais alors ni plus tard on ne sut bien la chose.
Gervais dit simplement à qui l’interrogea :
« Pro publico bono, je vous l’ai dit déjà. »
Le Woïski savait tout ; mais c’était un mystère ;
Et, gardant sa parole, il s’obstine à le taire.

Rykow sort de la chambre après quelques instants ;
Et Robak près de lui mande les combattants.
Le Président ainsi leur parle d’un ton grave :
Frères, chacun de vous s’est conduit comme un brave.
Mais, pas d’illusions ! De cet heureux combat
Il ne pourra sortir qu’un triste résultat.
Tous nous avons péché par quelque excès de zèle :
Robak, en propageant trop vite la nouvelle,
Les nobles et Gervais en voulant tout hâter.
La guerre avec le Tzar n’est pas près d’éclater.
Or donc, quiconque a pris trop part à la bataille
Ne peut rester ici, mais il faut qu’il s’en aille
De nos futurs sauveurs grossir la légion :
Et vous surtout, Maciej, nommé le Goupillon,
Vous, Cruchon ; vous, Rasoir ; vous, Thadée ! Au plus vite
Au delà du Niemen dirigez votre fuite.
Nous ferons tout tomber sur le dos des absents
Et sur Plout : on croira les autres innocents.
Au revoir, à bientôt ! J’ai la ferme espérance