Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 186 —

Ils traversent la cour et Gervais à leur suite ;
Vers la grange entr’ouverte, ils dirigent leur fuite,
Et Gervais dans la grange est entré derrière eux.
Invisible, il combat dans ce lieu ténébreux,
Car on entend des coups, des cris et du vacarme.
Tout s’est tu. Gervais seul sort, brandissant son arme
Rouge de sang.

Rouge de sang. Déjà les nobles sont vainqueurs ;
Ils achèvent encor le reste des chasseurs.
Rykow est resté seul et ne veut pas se rendre.
Alors le Président, qui le voit se défendre
Un contre cent, s’avance et dit avec douceur :
« Vous pouvez à présent céder sans déshonneur.
Vous avez bravement prouvé votre courage.
Il serait insensé de lutter davantage.
Vous êtes un héros ; nul ne peut le nier.
Je vous laisse la vie et vous fais prisonnier. »

Rykow, persuadé par ces mots, le salue,
Puis avec dignité lui tend son arme nue,
Rouge jusqu’à la garde, et dit : « Oh ! Polonais !
Que n’avais-je un canon ? Un seul ! Je vous tenais.
Souvarow me disait : « Souviens-toi, camarade,
Que pour les Polonais il faut la canonnade »
Mes chasseurs avaient bu. Plout leur avait permis.
Oh ! de toute façon Plout s’est bien compromis.
Le Tzar doit le punir sans indulgence aucune.
Monsieur le Président, votre main, sans rancune !
Notre proverbe dit : « Qui s’aime bien, se bat ;
Il faut s’aimer en frère et se battre en soldat ;
Vous aimez la ripaille autant que la bataille ;
Mais sauvez mes chasseurs que là-bas on mitraille. »

Le Président leva son sabre ; à ce signal,
L’huissier Protais proclame un pardon général.
On panse les blessés ; les morts sont mis en terre.
Les chasseurs sont traités en prisonniers de guerre.
On chercha Plout longtemps. Moitié mort, éperdu,
Sous les touffes d’ortie il s’était étendu.
Il en sortit, voyant la bataille finie.
Et tel fut le dernier zaïazd de Litvanie[1].

  1. Il y en eut encore plus tard, de moins célèbres, mais assez sanglants et qui firent du bruit. Vers l’année 1817, un propriétaire nommé M…, dans le palatinat de Nowogródek, battit pendant un zaïazd toute la garnison de Nowogródek et emmena les chefs prisonniers.