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Maciej en fait autant. Nos gens se refroidissent,
Ils reculent… Déjà les Russes s’applaudissent.
Rykow qui des vaincus espère avoir raison,
Veut balayer la cour et cerner la maison.
« Formez vos rangs ! » dit-il, « Charge à la baïonnette !
En avant ! » Les fusils se dressent : chaque tête
Se penche, et l’on avance à pas précipité.
Les nobles tiennent bon ou tirent de côté.
La moitié de la cour est bientôt occupée.
Vers le logis Rykow a tendu son épée ;
« Rendez-vous ! » dit-il, « Juge ! ou je l’incendierai ! »
— « Soit » , dit le Juge, « et moi je vous y rôtirai. »

Maison de Soplitzow, si tes murailles blanches
Voient encor les tilleuls t’abriter de leurs branches,
Si de nombreux voisins viennent encor s’asseoir
A la table du Juge aux gais repas du soir,
En l’honneur du Cruchon souvent on y doit boire ;
Sans lui de Soplitzow périssait la mémoire.

Le Cruchon jusque-là n’a guère fait d’exploits.
Lui, le premier sorti des entraves de bois,
Et qui trouva d’abord dans l’une des voitures
Son bien-aimé tromblon avec les fournitures,
Il fuit la lutte… « A jeun, il ne fait rien de grand »,
Dit-il… L’esprit de vin n’est pas loin ; il s’y rend,
Là, comme une cuiller sa main puise et repuise ;
Quand il s’est réchauffé, quand sa tête est remise,
Saisissant son tromblon, inclinant son bonnet,
Il bourre le canon, remplit le bassinet,
Et contemple la lutte. Il voit les baïonnettes
Qui refoulent au loin nos phalanges défaites.
Il faut briser ce flot ; et le Cruchon, rampant
Dans les herbes, se glisse, humble comme un serpent,
Au milieu de la cour ; il dresse une embuscade
Dans l’ortie, et fait signe à Sak, son camarade.

Sak devant le logis en armes s’est posté.
Par sa chère Zosia n’est-il pas habité ?
Son amour, il est vrai, n’obtient qu’indifférence ;
Mais il l’aime, et voudrait mourir pour sa défense.

Lorsque enfin dans l’ortie entre le bataillon,
Le Cruchon a tiré : de son large tromblon
Douze balles sur eux tombent comme une pluie.