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Tel un aiglon parfois dans un lièvre enfonçant
Une serre, s’accroche aux branches ; l’autre tire,
Lutte, s’échappe enfin, et l’aiglon se déchire :
La serre droite reste aux branches dans le bois,
Le lièvre emporte l’autre et s’enfuit aux abois.
Le Bénisseur, remis de cette chaude alarme,
Tend les mains et partout demande : « une arme ! une arme ! »
En attendant, ses poings roulent avec fracas.
Tout à coup il voit Sak qui s’avance à grands pas.
De la main droite Sak fait feu ; de l’autre il traîne
Un long morceau de bois qu’il ébranle avec peine :
Ridé, rugueux, noueux, de cailloux incrusté[1],
Nul, sauf Baptiste seul, ne l’a jamais porté.
Ciel ! son cher Goupillon, son arme favorite !
Il le saisit, l’embrasse et dans les airs l’agite,
Puis il frappe, et de sang il l’arrose au plus vite.

Quels furent ses exploits, quels ravages il fit,
A quoi bon le chanter ? Qui croira mon récit ?
Autrefois à Vilna crut-t-on la pauvre femme,
Qui, debout au sommet de la porte Ostrobrame,
Vit Dejów, général moscovite, courir
Vers la porte avec cent kozaks et l’entr’ouvrir,
Et puis un seul bourgeois, Czarnobacki, surprendre
Dejów et ses Kozaks, les forçant à se rendre[2] ?

Quoiqu’il en soit, Rykow eut raison : les chasseurs
Ne purent repousser leurs vaillants agresseurs.
Vingt-trois sont tombés morts et gisent sur la terre ;
Plus de trente blessés ont mordu la poussière ;
Les fuyards ont gagné le houblon, le verger,
Ou près des femmes vont se soustraire au danger.
Les nobles par des cris célèbrent leur victoire ;
Les uns vont dépouiller les morts, les autres boire ;
A leur triomphe, seul Robak ne veut pas croire.

  1. La massue lithuanienne se confectionne comme il suit : on recherche un jeune chêne et on le fend de bas en haut avec la hache, de façon à le blesser légèrement en tranchant l’écorce et le bois. Dans cette fente on enfonce des cailloux aigus, qui, avec le temps, font corps avec l’arbre et y forment des nœuds très durs. Les massues constituaient dans les temps païens l’arme principale de l’infanterie lithuanienne : on les
    emploie encore quelquefois, et on les appelle des nasieki.
  2. Après l’insurrection de Jasiński, quand les armées lithuaniennes étaient en marche vers Varsovie, les Russes se rapprochèrent de Vilna abandonnée. Le général Dejôw, à la tête de son état-major, entra par la porte dite Ostrobrama. Les rues étaient désertes, les habitants s’étaient enfermés dans leurs maisons. Un bourgeois, apercevant un canon laissé dans une ruelle et chargé à mitraille, le tourna vers la porte et y mit le feu. Ce seul coup de feu sauva alors Vilna. Le général Dejów périt avec plusieurs officiers ; le reste redoutant un piège, s’éloigna de la ville. On ne sait pas au juste le nom de ce bourgeois.