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Il se tourne ; et, cachant ses traits bleus de colère,
Il reste, sans bouger, la face contre terre.

Le tambour retentit. Le son, faible d’abord,
Grandit ; le roulement est de plus en plus fort.
L’officier russe alors confie à quelques hommes
Le Comte et ses jockeys : les autres gentilshommes
Vont rejoindre au logis le gros du bataillon.
En vain gronde et s’agite encor… le Goupillon.

Quand vers l’Etat-Major le cortège s’avance,
Du Juge délivré tous les amis d’enfance,
Birbasz, Hreczech, Biergiel, venus à sa défense,
L’entourent ; avec eux on voit les Podhayski :
Car ils sont ennemis jurés des Dobrzyński.

Mais qui donc fit venir les Russes du village ?
Et qui donc souleva sitôt le voisinage ?
L’Assesseur ou Jankiel ? L’un dit blanc, l’autre noir[1] ;
Mais alors ni plus tard nul n’en put rien savoir.

Le soleil qui paraît, rouge et sanglant, mais sombre,
Sans rayons, à moitié se dégageant de l’ombre
Et restant à moitié caché sous l’horizon,
Semble un fer à cheval que chauffe un forgeron.
Bientôt le vent s’élève, et loin du soleil chasse
Ces nuages épais comme des blocs de glace,
Dont chacun lance un jet de grésil en son vol.
Le vent suit le nuage et vient sécher le sol ;
Après le vent, revient un nuage de pluie,
Et ce que mouille l’un, l’autre aussitôt l’essuie.

Cependant le Major aperçoit dans la cour
Les poutres[2] qui séchaient ; il y fait tour à tour ’
Faire un trou pour les pieds des prisonniers ; en outre,
Sous leurs pieds entravés on fixe une autre poutre ;
Et ces bois, aux deux bouts cloués, mordent si bien
Les jambes, qu’on dirait deux mâchoires de chien.
Puis, faisant resserrer la corde qui leur noue
Les deux mains sur le dos, il s’amuse, il se joue.
Il leur fait enlever leur konfederatka[3],

  1. Expression proverbiale, qui revient plusieurs fois dans le poème.
  2. Celles-là mêmes qui ont servi à la fuite de Protais (v. L. VIII).
  3. Calotte carrée polonaise.