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Là le troupeau bêlant par les sentiers se presse
Dans des flots de poussière : ailleurs avec paresse
Font tinter leurs grelots des vaches du Tyrol ;
De ce pré des chevaux semblent prendre leur vol.
Tous courent vers le puits, dont la perche grinçante
Dans les auges répand une eau rafraîchissante.

Le Juge est fatigué ; tout son monde l’attend.
N’empêche ; il veut remplir un devoir important.
Il s’approche du puits lui-même, car cette heure
Pour voir les bestiaux est toujours la meilleure.
A personne il ne veut confier ce détail :
L’œil du maître, il le sait, engraisse le bétail.

L’huissier Protais se tient, armé d’une chandelle,
Devant le corridor. Le Woïski le querelle.
Protais, en son absence, a subrepticement
Fait porter le souper hors du grand bâtiment,
Et dresser le couvert dans ces murailles sombres,
Dont on voit près du bois les antiques décombres.
« Pourquoi ces changements ? » Le Woïski consterné
S’excuse auprès du Juge ; et le Juge étonné
Répond : « la chose est faite, et, comme il faut qu’on dîne,
Prions les invités d’aller vers la ruine ».
L’huissier explique en route au Juge ses raisons
Pour changer du souper les dispositions.
Nulle chambre au logis n’eut contenu la table
Qu’exige une assistance aussi considérable.
Là-bas le vestibule est spacieux assez :
Le plafond tient ; les murs sont un peu crevassés,
Les carreaux sont brisés : mais en été qu’importe ?
« La cave, ajoute-t-il, est plus près de la sorte ».
Mais ses regards malins et significatifs
Disent qu’il sous-entend de plus graves motifs.

A quelque mille pas, avec sa masse énorme,
Se dresse un vieux manoir imposant par sa forme,
Des seigneurs Horeszko jadis possession.
Leur chef mourut pendant la Révolution :
Ses biens furent détruits tant par la violence
Que par les tribunaux et par la négligence.
Des domaines laissés par les créanciers
Quelques collatéraux devinrent héritiers.
Le château seul resta sans possesseur ; on pense
Que tous de l’entretien redoutaient la dépense.
Mais, devenu majeur, le Comte, étant voisin
Des Horeszko, très riche, et, dit-on, leur cousin,