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Je connais ces grands maux… Eh ! je fus jeune aussi.
Dis-moi tout ; j’ai peut-être à t’apprendre en revanche
Un secret ; avec moi que ton âme soit franche. »

— « Mon oncle », dit Thadée en lui baisant la main,
Oui, je vais tout vous dire. » Il rougit, et soudain
Reprit : « J’aime en effet Zosia, votre pupille.
Moi qui n’ai que deux fois vu cette jeune fille,
Je l’aime, et vous percez mon cœur en décidant
De me faire bientôt gendre du président.
Je ne puis épouser Mademoiselle Rose
Puisque j’aime Zosia. Voilà toute la chose.
L’épouser sans l’aimer ! Je n’y puis consentir.
Le temps me guérira peut-être il faut partir. »

— « Bah ! » dit l’oncle en riant ; « preuve d’amour extrême !
L’amoureux veut s’enfuir loin de celle qu’il aime.
La franchise a du bon ; partir eût tout perdu.
Si je te fiançais à Zosia ? Qu’en dis-tu ?
Quoi ! Tu ne sautes pas de joie et d’allègresse ? »

Et Thadée hésitant reprit : « Tant de tendresse
« Me rend muet mon oncle : Hélas ! Pourquoi faut-il
« Qu’à ce bonheur si grand je préfère l’exil ?
« Vous ne fléchirez pas Madame Télimène… »
— « Essayons », fit le Juge.

— « Essayons », fit le Juge. — « Oh ! l’on perdrait sa peine, »
Dit vivement Thadée. « Ainsi donc dès demain,
Mon bon oncle, il le faut, je me mets en chemin.
Veuillez donc me bénir comme l’eût fait mon père.
Tout est prêt, et je vais rejoindre la frontière. »

Le Juge le fixa d’un œil dur et moqueur :
« Ah ! c’est ainsi », dit-il, « que tu m’ouvrais ton cœur. !
Duel, patrie, amour !… Tout ceci m’autorise
A voir que ce départ cache quelque sottise.
On m’a parlé de vous ; j’ai fait suivre vos pas.
Vos mensonges, Monsieur, ne me tromperont pas.
Où donc vous rendiez-vous hier soir, la brune ?
Que flairiez-vous ainsi ? Quelque bonne fortune ?
De séduire Zosia si tu t’es cru le droit
Pour fuir après, parbleu ! tu crois bien maladroit
Ton vieil oncle, blanc-bec ! Tu vas, je le déclare,
L’épouser. Lorsqu’on fait le mal, on le répare.