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Tout fanfaron qu’il est, le Comte a l’âme fière.
Il sera, je suppose, exact au rendez vous.
Nous nous battrons ; et, si le Ciel est avec nous,
Vainqueur, j’irai porter mon bras et mon courage
Dans les rangs polonais campés sur le rivage.
C’est le vœu de mon père, et dans son testament
Il l’exprime ; comment l’accomplir autrement ? »

— « Ah ! » dit l’oncle; « je vois qu’on a la tête chaude ;
A moins que, manœuvrant comme un renard en fraude,
Tu prennes un détour pour me mieux dépister.
Personne du duel ne veut se désister.
Mais partir aujourd’hui, cette nuit ? Pour quoi faire ?
Un envoi de témoins précède toute affaire.
Le Comte peut vouloir exprimer ses regrets,
S’excuser ; attendons, et nous verrons après.
Mais n’est-ce pas plutôt encor quelque sottise
Qui te chasse d’ici ? Parlons avec franchise.
Un oncle est indulgent pour son neveu, dit-on. »
(Il dit ; et, souriant, il lui prend le menton).
Mon petit doigt déjà m’a parlé d’amourette ;
Aux dames paraît-il, on a conté fleurette.
La jeunesse est précoce à présent. Beau neveu,
Ouvrez-moi votre cœur : j’attends un franc aveu. »

— « C’est vrai, j’ai des motifs », balbutia Thadée,
D’un autre ordre… Il le faut… La chose est décidée…
Une erreur malheureuse… Oui, je dois vous quitter.
Non, mon cher oncle, non : je ne puis pas rester.
J’ai péché… Je ne puis en dire davantage.
Je pars ; je ne saurais trop hâter mon voyage. »

— « Bon, bon ! » reprit le Juge, « un dépit amoureux !
Je comprends maintenant ces regards malheureux
Que tu jetais hier sur certaine orpheline ;
Je vois d’où lui venait cette piteuse mine.
Je connais ces grands maux. Quand deux pauvres enfants
Sont amoureux, sur eux fondent tous les tourments !
Ils sont joyeux ; soudain leur figure s’allonge,
Leur âme sans motif dans le chagrin se plonge ;
Ils boudent dans les coins ; ils sont taquins, méchants,
S’évitent, vont parfois jusqu’à fuir dans les champs.
Si c’est un vertigo pareil qui vous possède,
Vous n’avez qu’à parler : car j’y sais un remède.
Je vous mettrai d’accord ; bannissez tout souci.