Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 132 —

De chez Monsieur Tödwen nous arrive un message.
Grabowski lit la lettre ; et, changeant de visage :
léna ! dit-il, Iéna ! La victoire est à nous ! »
Je saute de cheval et je tombe à genoux
En rendant grâce à Dieu… Nous courons à la ville
Feignant d’ignorer tout. Là viennent à la file,
Confus, baissant le nez, Landraths, Hofraths prussiens,
Commissaires… que sais-je encor ? Ces fils de chiens
S’inclinent devant nous ; et leur troupe penaude
Ressemble aux charançons qu’on asperge d’eau chaude.
Nous nous frottons les mains, nous rions, et d’un ton
Doux nous leur demandons : «Et Iéna, qu’en dit-on ? »
La peur les prend. Comment ? Nous savons la défaite,
Déjà ? Bei Gott ! O weh ! Tous, en baissant la tête,
Ils se sauvent chez eux, et de chez eux… plus loin !
Quelle bagarre ! On voit s’enfuir dans chaque coin
Un Prussien qui détale : on dirait des insectes
En fuite ; ils vont traînant ces charrettes infectes,
Qu’ils nomment des wagen : hommes, femmes, en tas,
Portant pipes, chaudrons, coffres et matelas,
Décampent… Nous, après une entente secrète,
Nous courons des fuyards harceler la retraite.
Assommé le landrath ! Ecorché le hofrath !
Pris Mein herr l’officier ! En prison, mon Kamrath !
Posen est en émoi : c’est Dombrowski qui passe ;
Ordre de l’Empereur ; qu’on se soulève en masse !
On fit huit jours durant la chasse à l’Allemand ;
On n’en eût plus trouvé l’ombre d’un seulement[1].
Il nous faut manœuvrer aussi bien, aussi vite :
Organisons ici la chasse au Moscovite !
Qu’en dites-vous, Maciej ? Si c’est Napoléon
Qui les prend au collet, ce sera pour de bon :
C’est l’homme du destin, c’est le dieu de la guerre !
Qu’en dites-vous, Maciej, vieux Lapin, notre père ?»

Il a dit. On attend la réplique du Vieux.
Sans remuer la tête et sans lever les yeux,
Il se frappe le flanc d’un air mystérieux ;
C’est son sabre qu’il cherche ; (or depuis le partage
Il ne le portait plus ; mais par un vieil usage
Au seul mot de Moskal sa main se dirigeait
Vers son flanc gauche ; c’est sa Verge[2] qu’il cherchait

  1. Mot à mot: « On n’en aurait plus trouvé pour en faire un médicament », proverbe intraduisible.
  2. Son sabre qu’il appelle rózga, la verge. V. livre VI: on y a vu aussi le sens du mot Zabo.