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Possédant du pays et l’histoire et l’usage.
En fait d’agriculture il est grand connaisseur,
Aussi bon médecin que célèbre chasseur ;
Tous le disent versé (le curé seul le nie)
Dans l’art surnaturel de la sorcellerie.
En tous cas il prévoit les changements de temps
Et les annonce mieux que l’Almanach des champs.
Aussi rien d’étonnant qu’au moment des semailles,
Qu’au départ des bateaux, que pour les épousailles,
Les procès, la moisson, ou la vente d’un bien,
Sans consulter Maciej on ne fît jamais rien.
Le vieillard n’avait pas cherché cette influence ;
Même, de ses clients maudissant l’affluence,
Il les brusquait toujours, les renvoyait souvent ;
S’il donnait un conseil, c’était en s’esquivant.
Quand on le consultait sur un cas d’importance,
Il répondait trois mots, puis gardait le silence.
On croyait qu’il voudrait en cette occasion
Être le commandant de l’expédition ;
Car jadis il n’aimait rien tant que les batailles,
Et détestait surtout les Russes, ces canailles.

Le vieillard justement marchait seul dans la cour
En chantant à mi-voix : « Quand va naître le jour, »[1]
Heureux de voir le ciel s’éclaircir ; car la brume,
Au lieu de remonter, comme c’est la coutume
Quand il pleut, descendait. Le vent de ses grands bras
L’enlaçant, l’étendait plus bas, toujours plus bas ;
Tout à coup le soleil dans le brouillard éclate
En mille rayons d’or, d’argent et d’écarlate.
On croirait voir à Słuck[2] deux artisans subtils,
Dont l’un sur le métier étend les premiers fils
Et les lisse du doigt, et dont l’autre lui lance
D’en haut les fils d’argent et de pourpre, et nuance
La trame : tel le vent tapisse de vapeurs
La terre, et le soleil la brode de couleurs.
Maciej en se chauffant a fini sa prière ;
Il va chercher (c’est là sa tâche journalière)
Des feuilles de choux verts ; puis, devant la maison
S’assied, et siffle : alors a jailli du gazon
Un essaim de lapins : aux narcisses pareilles

  1. Kiedy ranne wstają zorze, pièce de vers célèbre de Karpiński, très populaire en Pologne, et devenue une sorte de prière du matin, ainsi qu’une autre pièce qui en fait le pendant et qui est une prière du soir.
  2. Ville célèbre par sa fabrique de draps — (v. L. I).