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On n’a depuis longtemps ici croisé le fer.
Nous allons rire enfin, faire le diable à quatre.
En deux ans je n’ai vu que des manants se battre.
Il nous faut des exploits brillants, du sang versé !
Dans mon voyage un jour c’est ce qui s’est passé.
J’habitais chez un prince en Sicile ; son gendre
Par d’avides brigands s’était laissé surprendre.
Ces gueux pour la rançon se montraient exigeants.
Vite nous rassemblons ses vassaux et ses gens ;
Nous partons. Sous mes coups deux chefs cessent de vivre.
Je force le premier leur camp : je le délivre.
Gervais, mon bon Gervais ! Quel retour triomphal !
Nous formions un cortège antique, féodal !
On nous lance des fleurs : et, bénissant nos armes,
La princesse à mon cou se jette toute en larmes.
A Palerme (déjà tous savaient mon exploit)
Les femmes me lorgnaient et me montraient du doigt.
Et même on imprima sur ma belle aventure
Un roman, dont mon nom orne la couverture ;
Il est intitulé « Le Comte ou le Caveau
De Birbante-Rocca. » Dis-moi : ce vieux château
A-t-il des souterrains ? » — Oui, des caves, mais vides »
Dit Gervais, « ces intrus ont bu tous les liquides. »
— « Cours, dit le Comte, armer en hâte mes Jockeys ;
« Convoque mes vassaux » — Juste Dieu ! Des laquais ! »
Interrompit Gervais, « Est-ce avec la canaille
Qu’on envahit un bien ? avec la valetaille ?
A nos invasions vous ne comprenez rien !
Et quant à vos vassaux[1], si je vous entends bien,
Ce sont nos bons voisins, les nobles des bourgades
De Dobrzyn, Rzezików, Cientycze, ces brigades
De valeureux sabreurs au sang noble et bouillant,
Dont nous eûmes toujours le concours bienveillant,
Et qui pour Soplitza n’ont tous que de la haine !
C’est trois cents combattants que de là je ramène ;
Je m’en charge. Pour vous, Comte, au lieu de veiller,
Reposez-vous ; demain il faudra travailler :
Vous aimez à dormir ; il est tard ; le coq chante :
Je garde le manoir jusqu’à l’aube naissante ;
Dès l’aurore à Dobrzyn je me présenterai. »

Le Comte du balcon s’est alors retiré ;
Mais il regarde encor, et, par les meurtrières

  1. Gervais ne comprend pas ou ne veut pas comprendre le mot wasal, il affecte de le confondre avec le mot wąsal qui veut dire un moustachu.