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Sans que vous protestiez, on m’insulte chez vous ? »
Alors Protais cria trois fois : « Taisez-vous tous !
Et toi, sors ! Moi, Protais Balthazar, je l’ordonne
Au porte-clefs Gervais, parlant à sa personne.
Huissier du Tribunal, je fais sommation,
En attendant l’arrêt et par provision,
Faisant appel, Messieurs, à votre témoignage,
De Monsieur l’Assesseur invoquant l’arbitrage,
Au nom de Soplitza pour cette incursion,
Ou, pour dire plus vrai, pour cette invasion,
D’un château dont il est légalement le maître
Puisqu’il nous y reçoit : nous le ferons connaître. »
— « Ah ! Balthazar, hurla Gervais, vous en voulez ! »
Et, prenant à son flanc son lourd trousseau de clés,
Il l’agite et le lance en clignant la paupière.
Le coup part : de la fronde ainsi faillit, la pierre.
Le crâne de Protais eût été fracassé,
Si, pour fuir le trépas, il ne se fût baissé.

Tous ont quitté leur place : il se fait un silence.
Profond… Le Juge enfin cria : « Que l’on s’élance
Sur ce drôle !… » Ses gens se jettent menaçants
Dans le boyau formé par le mur et les bancs.
Le Comte pousse alors sa chaise sur leur route
Et du pied affermit cette faible redoute.
— « Holà ! Juge, dit-il, personne n’a le droit
De toucher à mon vieux serviteur sous mon toit.
Quiconque a des griefs peut m’exposer sa plainte. »

Alors, le regardant de travers : « N’ayez crainte,
Cria le Président, je saurai bien sans vous
Punir ce gentillâtre… Et vous, Graf[1], croyez-nous,
Vous vous appropriez ce manoir un peu vite.
Le seul maître est céans celui qui nous invite.
Du calme, s’il vous plaît ! Si vous n’avez pour moi
Nul égard, respectez tout au moins mon emploi. »

— « Bah ! repartit le Comte, assez de bavardage !
A d’autres vos chansons de dignités et d’âge !
J’ai fait assez le sot de m’asseoir avec vous
A vos repas grossiers finissant par des coups.
Quand vous serez à jeun, de vos propos d’homme ivre
Vous me rendrez raison. Gervais, veuillez me suivre ! »

  1. C’est par mépris que le président emploie ici le mot allemand (Graf) au lieu du mot polonais Hrabia.