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Était jadis le fait d’un poltron avéré ;
Tirer à tout hasard comme fait le vulgaire
Sans laisser approcher ni viser, c’est l’affaire
D’un maladroit ; mais quand, ne visant pas trop mal,
On laisse comme il faut s’approcher l’animal,
Si l’on manque, on peut fuir sans encourir de honte,
Ou prendre en main l’épieu, mais pour son propre compte,
Sans contrainte : l’épieu. doit servir au chasseur
Pour sa défense, et non quand il est l’agresseur.
C’était ainsi jadis. Donc, vous pouvez m’en croire,
Votre retraite en rien n’a terni votre gloire,
Mon cher Thadée, et vous, monsieur le Comte. Mais,
En vous la rappelant, dites-vous que jamais
(Le vieux Woïski vous donne un précepte très sage)
L’un à l’autre il ne faut se barrer le passage,
Ni viser à la fois vers le même côté… »

Le Woïsid finissait : « vers le même côté, »
Quand l’Assesseur souffla « vers la même beauté ».

Bravo ! s’écria-t-on. On rit, on recommence
A citer de Hreczech la prudente sentence,
Le dernier mot surtout : les uns disaient : côté,
Les autres en riant criaient tout haut : beauté.
Le Notaire dit : sotte, et l’Assesseur : coquette :
Tous deux à Télimène adressent l’épithète.

Le Woïski ne voulait pas faire de l’esprit ;
Sans demander pourquoi l’on chuchote et l’on rit,
Content que son discours ait égayé les dames
Et voulant des chasseurs aussi calmer les âmes,
Il dit en se versant un grand verre de vin :

« Je ne vois point ici le Père Bernardin.
Je voulais lui conter une histoire incroyable ;
A notre chasse à l’ours elle est assez semblable.
Le Porte-Clefs disait qu’il n’a vu qu’un tireur
Adroit comme Robak. J’en ai vu, sauf erreur,
Un second. Il sauva par une adresse égale
Deux seigneurs qui tous deux seraient morts sans sa balle.
Le prince de Nassau chassait en invité
A Nalibok avec Reytan, le député.
Loin d’en être jaloux, ils prônèrent sa gloire
Et même à sa santé tous deux voulurent boire.
Il eut, sauf les présents dont chacun le combla,