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C’est assez caresser vos petits paysans
Malpropres ! Une grande enfant de quatorze ans !
Votre teint est hâlé comme un teint de tzigane ;
Vous prenez en marchant des airs de paysanne,
C'est un autre milieu qu’il vous faut fréquenter :
Dans le monde aujourd’hui je veux vous présenter ;
Vous saurez au salon vous bien tenir : j’y compte ;
Nos hôtes sont nombreux ; ne me faites pas honte. »

Zosia frappe des mains, se lève et tout à coup
Elle court vers sa tante, et se jette à son cou :
Elle pleure, elle rit tour à tour, dans sa joie.
— « Des hôtes ! On permet enfin que je les voie !
Pendant deux ans qu’avec mes dindons j’ai vécu,
Un vieux pigeon sauvage est le seul que j’ai vu.
Je m’ennuyais un peu de rester prisonnière :
Monsieur le Juge dit que cela m’est contraire. »

Le Juge ! interrompit la tante, il me poussait
Sans cesse à vous produire au jour ; il me disait :
Elle est bien assez grande ! » Absurde radotage !
Le pauvre vieux du monde a-t-il le moindre usage ?
Je sais, moi, comme il faut longtemps se préparer
Pour faire son effet quand on veut s’y montrer.
Malheur à qui grandit sous le regard des hommes !
Son effet est manqué : c’est ainsi. que nous sommes :
On l’a vu tout petit, donc ce n’est rien du tout.
Mais que, toute formée, arrive tout à coup
Et comme un astre aux yeux brille une demoiselle,
Alors les curieux se pressent autour d’elle :
Ses gestes, ses regards par tous sont commentés ;
On l’écoute parler, ses mots sont répétés.
Et, quand la mode enfin l’a dûment consacrée,
Elle est de tous quand même encensée, admirée.
Vous me ferez honneur, j’espère. A Pétersbourg
Vous grandîtes : deux ans écoulés dans ce bourg
N’ont pas détruit l’effet d’une si bonne école.
Faites votre toilette. Ici, dans ma console,
Vous trouverez tout prêts les objets qu’il vous faut ;
Hâtez-vous : nos chasseurs vont revenir bientôt. »

On appelle la bonne avec la chambrière.
On verse un grand seau d’eau dans une vaste aiguière.
Zosia, comme un moineau dans le sable plongeant,
Lave ses mains, son cou dans l’aiguière d’argent.