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rouge. Ainsi, elle allait vers les champs de Kossowo, et déjà elle parcourt le champ de bataille de l’illustre Lazare. Elle observe, elle retourne les corps des héros qui nagent dans leur sang, et lorsqu’elle trouve un guerrier qui donne encore quelques faibles signes de vie, elle lui lave le front avec l’eau fraîche, elle lui verse dans la bouche du vin rouge, elle le restaure avec du pain blanc. Ainsi marchant et cherchant, elle arrive par hasard près de Paul Orlovitsch, le jeune porte-drapeau du roi, elle le trouve encore vivant : sa main droite était détachée du bras ; son pied gauche coupé jusqu’aux genoux, le flanc entr’oûvert. La jeune fille le tire de la fange ensanglantée ; alors, sentant son cœur se ranimer, il parle ainsi :

— « O ! chère bien-aimée fille de Kossowo, quel malheur vous arrive-t-il ? Pourquoi restes-tu ainsi au milieu des cadavres ? Que cherches-tu sur ce champ de bataille ? Cherches-tu un frère ou un fils de ton frère, ou peut-être cherches-tu ici ton vieux père ? — »

Alors elle lui répond par la formule ordinaire en répétant les mêmes expressions employées par le porte-drapeau, qu’elle ne cherche ni son père, ni son frère, ni le fils de son frère, puis elle ajoute en terminant :

— « O cher frère, guerrier inconnu ! te rappelles- tu comment le roi Lazare, trois semaines avant la bataille, ayant réuni tous ses guerriers, dans la superbe église de Samodrescha, leur laissa administrer le saint sacrement par les mains de trente prêtres ? Lorsque l’armée sortit de l’église, j’ai vu trois guerriers qui se retiraient avec Milosch ; mais moi, je