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LES SALONS. — Mme DE STAËL

étroitement liés avec Brissot et la Gironde, et que les uns et les autres s’entendaient avec la cour pour précipiter la France dans la guerre, pour amener, par la guerre, la contre-révolution.

Tout cela était un roman. Ce qui est prouvé aujourd’hui, c’est qu’au contraire la Gironde détestait Mme de Staël, c’est que la cour haïssait Narbonne et frémissait de ce projet aventureux de la guerre où on voulait la lancer ; elle pensait avec raison que, le lendemain, au premier échec, accusée de trahison, elle allait se trouver dans un péril épouvantable, que Narbonne et La Fayette ne tiendraient pas un moment, que la Gironde leur arracherait l’épée, à peine tirée, pour la tourner contre le roi.

« Voyez-vous, disait Robespierre, que le plan de cette guerre perfide, par laquelle on veut nous livrer aux rois de l’Europe, sort justement de l’ambassade de Suède ? » C’était supposer que Mme de Staël était véritablement la femme de son mari, qu’elle agissait pour M. de Staël et d’après les instructions de sa cour ; supposition ridicule, quand on la voyait si publiquement éperdue d’amour pour Narbonne, impatiente de l’illustrer. La pauvre Corinne, hélas ! avait vingt-cinq ans, elle était fort imprudente, passionnée, généreuse, à cent lieues de toute idée d’une trahison politique. Ceux qui savent la nature, et l’âge, et la passion, mieux que ne les savait le trop subtil logicien, comprendront parfaitement cette chose, fâcheuse, à coup sûr, immorale, mais enfin réelle : elle agissait pour son amant, nullement pour son mari. Elle avait hâte d’illustrer le premier dans la croisade révo-