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LES SOLDATS DE LA RÉVOLUTION

aristocratiques, et qui, loin de favoriser les amitiés militaires, trouvait profit politique à attiser les jalousies, les rivalités de ses principaux lieutenants[1].

Habitué à voir les hommes comme de purs instruments, il oublia que les armées d’Italie et d’Égypte avaient dû leurs grands succès à leur forte cohésion.

La Grande-Armée, moins identique, était encore, dans les moments de crise, comme un vaste orchestre où, avec des sons différents, règne la même harmonie.

Napoléon dut s’en souvenir amèrement plus tard, au milieu de ses revers, quand la Grande-Armée toujours vaillante, mais scindée, brisée, se trouva en face de peuples qui, à leur tour, apportaient au combat une même âme.

En repassant le Rhin, se faisait le divorce. Ceux qu’on envoyait en Espagne se sentaient orphelins lorsqu’on les séparait de ces vieilles moustaches qui les avaient conduits et instruits jusque-là.

Et cette armée d’Espagne, dont les chefs furent rappelés un moment pour Wagram, puis rentrèrent en Espagne pour aller à Moscou, était irritée, excédée de ces tiraillements.

Nos soldats si gais, au temps de la République, changèrent alors de caractère, restèrent obéissants, mais devinrent grognards.

L’Espagne même y fit beaucoup, les transforma cruellement. Ce climat africain, froid l’hiver, brûlant l’été, ces longues plaines d’un sable salé, les séchèrent, les aigrirent. La fuite, l’éloignement,

  1. On peut voir dans Ségur Napoléon se plaisant à faire quereller Murat et Davout, pendant que, du pied, il joue avec un boulet russe (t. I, p. 331. Édition 1825).