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LA TOUR D’AUVERGNE

la glace, puis passa gaiement le premier. Tout le monde passa.

La Tour d’Auvergne avait une chose heureuse pour une guerre d’Espagne et dans ces temps de famine : il ne mangeait pas. À peine prenait-il un peu de pain ou de lait. Sa sobriété effrayait les Espagnols ; les Français n’osaient avoir faim. Leur dénuement était extrême ; mais comment se plaindre en voyant toujours marcher en avant le bon capitaine, qui allait à pied et laissait son cheval aux plus fatigués ?

Un représentant du peuple, touché de ses grands services, lui offrait de parler pour lui. Eh bien dit La Tour d’Auvergne, si vous êtes tout-puissant, demandez pour moi… — Quoi ? un régiment ? — Non, une paire de souliers. »

Appelé fréquemment au conseil par les généraux, et leur donnant les plus sages avis sur cette guerre d’Espagne qu’il savait à merveille, il était naturel que La Tour d’Auvergne eût un grade supérieur. Rien ne put le décider à quitter sa position de capitaine, modeste, mais favorable pour agir immédiatement sur le soldat.

On l’obligea néanmoins à réunir sous lui tous les grenadiers de l’armée, au nombre de huit ou neuf mille, pour les former et les instruire. Un homme si aimé n’avait aucun besoin d’autorité. Il suffisait, pour leur instruction, qu’il vécût devant eux. Il ne les quittait jamais, mangeait avec eux, vivait avec eux ; le soir, il les nourrissait de ses récits. Le matin, avant l’aube (car il dormait très peu), on le voyait aller, venir, avec ses livres et son sabre, et visiter les sentinelles.