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LA TOUR D’AUVERGNE

naux. Grand exercice de patience. Les jeunes paysans qu’on amenait là étaient quelque peu étonnés de cette guerre de montagnes sauvages dans les sentiers des chèvres, et de l’ennemi plus sauvage qu’on y rencontrait. Le bon Corret les ménageait beaucoup, les habituait peu à peu. Il se faisait prudent, timide quelquefois, pour les faire hardis.

Sa manière ordinaire de combattre et de les aguerrir était tout simplement de marcher en avant, tête nue, le manteau et le chapeau sur le bras, à vingt pas plus loin que la troupe, disant : « Allons d’abord jusqu’à cet arbre. S’ils sont plus forts, nous reviendrons. »

Il recevait, paisible, une grêle de balles, son manteau était criblé, lui jamais blessé. Il se retournait alors en souriant. Mais déjà tous s’étaient élancés et couraient ; c’était à qui le rejoindrait plus tôt. « Le capitaine, disaient-ils, sait charmer les balles… »

Il ne portait sur lui d’autre charme que des livres, sa grammaire bretonne qu’il ne quittait guère. Il l’avait volontiers sur sa poitrine, entre le linge et la peau. Excellente cuirasse. Les balles espagnoles, sur la rude grammaire, semblaient rebrousser, s’amortir.

Pour la singularité, le grand cœur, la bonté, l’audace romanesque, notre héros tenait un peu, nous l’avons dit, de celui de Cervantès. Il est incroyable, mais vrai et certain, qu’il prit à lui seul la place de Saint-Sébastien.

Il se jette dans une barque avec une pièce de huit, monte lui-même à la citadelle, intimide le commandant, se donnant pour l’avant-garde de toute l’armée