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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

les siens, une tragédie complète sur chaque voiture, les pleurs et les regrets mutuels, des appels de l’un à l’autre à crever le cœur. Mme de Saint-Amaranthe, fière et résolue d’abord, défaillait à tout instant.

Une actrice des Italiens, Mlle Grandmaison, portait l’intérêt au comble. Maîtresse autrefois de Sartines, qui avait épousé la jeune Saint-Amaranthe, elle lui restait fidèle. Pour lui elle s’était perdue. Elles étaient là ensemble, assises dans la même charrette, les deux infortunées, devenues sœurs dans la mort, et mourant dans un même amour.

Un bruit circulait dans la foule horriblement calomnieux, que Saint-Just avait voulu avoir la jeune Saint-Amaranthe, et que c’était par jalousie, par rage, qu’il l’avait dénoncée.

Que Robespierre eût ainsi abandonné les Saint-Amaranthe, qu’on supposait ses disciples, ce fut le sujet d’un prodigieux étonnement.

Toutes les conditions de l’horreur et du ridicule semblaient réunies dans cette affaire. Le Comité de sûreté, qui avait arrangé la chose, dans son drame atroce, mêlé de vrai et de faux, avait dépassé à la fois la comédie, la tragédie, écrasé tous les grands maîtres. L’immuable et l’irréprochable, surpris dans le pas secret d’une si leste gymnastique, montré nu entre deux masques, ce fut un aliment si cher à la malignité qu’on crut tout, on avala tout, on n’en rabattit pas un mot. Philosopha chez le menuisier, messie des vieilles rue Saint-Jacques, au Palais-Royal souteneur de jeux ! Faire marcher de front ces trois rôles, et sous ce blême visage de censeur impitoyable !…