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LA DÉESSE DE LA RAISON

le flambeau de la Vérité. Les magistrats siégeaient sous les colonnes. Point d’armes, point de soldats. Deux rangs de jeunes filles encore enfants faisaient tout l’ornement de la fête ; elles étaient en robes blanches, couronnées de chêne, et non, comme on l’a dit, de roses.

La Raison, vêtue de blanc avec un manteau d’azur, sort du temple de la Philosophie, vient s’asseoir sur un siège de simple verdure. Les jeunes filles lui chantent son hymne ; elle traverse au pied de la montagne en jetant sur l’assistance un doux regard, un doux sourire. Elle rentre, et l’on chante encore… On attendait… C’était tout…

Chaste cérémonie, triste, sèche, ennuyeuse[1].

De Notre-Dame, la Raison alla à la Convention. Elle y entra avec son innocent cortège de petites filles en blanc ; — la Raison, l’humanité, Chaumette, qui la conduisait par la courageuse initiative de

  1. Est-il nécessaire de dire que ce culte n’était nullement le vrai culte de la Révolution ? Elle était déjà vieille et lasse, trop vieille pour enfanter. Ce froid essai de 93 ne sort pas de son sein brûlant, mais des écoles raisonneuses du temps de l’Encyclopédie. – Non, cette face négative, abstraite de Dieu, quelque noble et haute qu’elle soit, n’était pas celle que demandaient les cœurs ni la nécessité du temps. Pour soutenir l’effort des héros et des martyrs, il fallait un autre Dieu que celui de la géométrie. Le puissant Dieu de la nature, le Dieu Père et Créateur (méconnu du Moyen-âge, voy. Monuments de Didron) lui-même n’eût pas suffi : ce n’était pas assez de la révélation de Newton et de Lavoisier. Le Dieu qu’il fallait à l’âme, c’était le Dieu de Justice héroïque, par lequel la France, prêtre armé dans l’Europe, devait évoquer du tombeau les peuples ensevelis.

    Pour n’être pas nommé encore, pour n’être point adoré dans nos temples, ce Dieu n’en fut pas moins suivi de nos pères dans leur croisade pour les libertés du monde. Aujourd’hui, qu’aurions-nous sans lui ? Sur les ruines amoncelées, sur le foyer éteint, brisé, lorsque le sol fuit sous nos pieds, en lui reposent inébranlables notre cœur et notre espérance.