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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

y continuait ses rêves. Trop clairvoyant toutefois pour ne pas voir que tous deux suivaient les bords d’un abîme, où sans doute il faudrait tomber. Autre tristesse : cette femme accomplie qui s’était donnée à lui, il ne pouvait la protéger. Elle appartenait, hélas au public ; sa piété, le besoin de soutenir ses parents, l’avaient menée sur le théâtre, exposée aux caprices d’un monde si orageux. Celle qui voulait plaire à un seul, il lui fallait plaire à tous, partager entre cette foule avide de sensations, hardie, immorale, le trésor de sa beauté, auquel un seul avait droit. Chose humiliante et douloureuse terrible aussi, à faire trembler, en présence des factions, quand l’immolation d’une femme pouvait être, à chaque instant, un jeu cruel des partis, un barbare amusement.

Là était bien vulnérable le grand orateur. Là craignait celui qui ne craignait rien. Là, il n’y avait plus ni cuirasse, ni habit, rien qui garantît son cœur.

Ce temps aimait le danger. Ce fut justement au milieu du procès du Louis XVI, sous les regards meurtriers des partis qui se marquaient pour la mort, qu’ils dévoilèrent au public l’endroit qu’on pouvait frapper. Vergniaud venait d’avoir le plus grand de ses triomphes, le triomphe de l’humanité. Mlle Candeille elle-même, descendant sur le théâtre, joua sa propre pièce, la Belle Fermière. Elle transporta le public ravi à cent lieues, à mille de tous les événements, dans un monde doux et paisible, où l’on avait tout oublie, même le danger de la patrie.

L’expérience réussit. La Belle Fermière eut un