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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

l’avocat, jeune homme timide qui, cette fois, fut au-dessus de lui-même. Celle du peintre ne fut pas moins grande. Il exposa cette année un portrait de Marat, peut-être pour s’excuser d’avoir peint Charlotte Corday. Mais son nom ne paraît plus dans aucune exposition. Il semble n’avoir plus peint depuis cette œuvre fatale.

L’effet de cette mort fut terrible : ce fut de faire aimer la mort.

Son exemple, cette calme intrépidité d’une fille charmante, eut un effet d’attraction. Plus d’un qui l’avait entrevue mit une volupté sombre à la suivre, à la chercher dans les mondes inconnus. Un jeune Allemand, Adam Lux, envoyé à Paris pour demander la réunion de Mayence à la France, imprima une brochure où il demande à mourir pour rejoindre Charlotte Corday. Cet infortuné, venu ici le cœur plein d’enthousiasme, croyant contempler face à face dans la Révolution française le pur idéal de la régénération humaine, ne pouvait supporter l’obscurcissement précoce de cet idéal ; il ne comprenait pas les trop cruelles épreuves qu’entraîne un tel enfantement. Dans ses pensées mélancoliques, quand la liberté lui semblait perdue, il la voit, c’est Charlotte Corday. Il la voit au tribunal, touchante, admirable d’intrépidité il la voit majestueuse et reine sur l’échafaud… Elle lui apparut deux fois… Assez ! il a bu la mort.

« Je croyais bien à son courage, dit-il, mais que devins-je quand je vis toute sa douceur parmi les hurlements barbares, ce regard pénétrant, ces vives et humides étincelles jaillissant de ces beaux yeux,