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CHARLOTTE CORDAY

qui étaient sur la cour, garnies de vieux meubles, de tables sales où l’on pliait les journaux, donnaient l’idée d’un triste logement d’ouvrier. Si vous pénétriez plus loin, vous trouviez avec surprise un petit salon sur la rue, meublé en damas bleu et blanc, couleurs délicates et galantes, avec de beaux rideaux de soie et des vases de porcelaine, ordinairement garnis de fleurs. C’était visiblement le logis d’une femme, d’une femme bonne, attentive et tendre, qui, soigneuse, paraît pour l’homme, voué à ce mortel travail le lieu du repos. C’était là le mystère de la vie de Marat, qui fut plus tard dévoilé par sa sœur : il n’était pas chez lui, il n’avait pas de chez lui en ce monde. « Marat ne faisait point ses frais (c’est sa sœur Albertine qui parle) ; une femme divine, touchée de sa situation, lorsqu’il fuyait de cave en cave, avait pris et caché chez elle l’Ami du peuple, lui avait voué sa fortune, immolé son repos. »

On trouva dans les papiers de Marat une promesse de mariage à Catherine Évrard. Déjà il l’avait épousée devant le soleil, devant la nature.

Cette créature infortunée et vieillie avant l’âge se consumait d’inquiétude. Elle sentait la mort autour de Marat, elle veillait aux portes, elle arrêtait au seuil tout visage suspect.

Celui de Mlle Corday était loin de l’être ; sa mise décente de demoiselle de province prévenait pour elle. Dans ce temps où toute chose était extrême, où la tenue des femmes était ou négligée ou cynique, la jeune fille semblait bien de bonne vieille roche normande, n’abusant point de sa beauté, contenant par un ruban vert sa chevelure superbe sous